L’industrie française, entre ambitions stratégiques et fragilités structurelles

Alors que le Leem dévoile son dernier Baromètre 360° de l’attractivité de la France pour l’industrie pharmaceutique, réalisé par PwC, les signaux d’alerte se multiplient. Si la France conserve des atouts, elle voit son attractivité s’éroder. À quelques mois du PLFSS 2026, les acteurs du secteur appellent à un sursaut politique et économique.
« Nous sommes à un tournant de notre histoire », a déclaré Laurence Peyraut, directrice générale du Leem, en ouverture de la conférence de presse de présentation du Baromètre 360° de l’attractivité du Leem (1) le mardi 17 juin. « Dans un contexte géopolitique incertain, l’Europe et la France doivent choisir d’investir dans l’innovation pour la santé de nos populations. C’est un investissement sur l’avenir. » Le Baromètre 2025 confirme l’importance stratégique du secteur : chaque euro investi dans l’industrie pharmaceutique génère 2,1 euros de richesse pour l’économie française. Malgré cette contribution et des investissements de production en hausse de 38 % en 2024 à 2,85 milliards d’euros, la compétitivité de la France perd du terrain. 92 % des laboratoires interrogés jugent le pays peu ou pas attractif, un chiffre en hausse constante depuis 2022. « Les deux tiers envisagent de ne pas investir dans les trois prochaines années », s’alarme le Leem.
Plusieurs avancées
Réduction de 61 % des ruptures de stock en un an, efforts de décarbonation et stabilité des investissements en recherche et innovation (5,9 Mds€ en 2024, dont 70 % en recherche clinique)… La France progresse sur certaines thématiques. Elle reste le deuxième marché pharmaceutique européen en valeur (à 35 Mds€, derrière l’Allemagne à 60 Mds€) et le deuxième bassin d’emplois du secteur, avec plus de 108 000 salariés (+2,4 % en un an), derrière son voisin germanique. Mais ces progrès sont contrebalancés par des fragilités persistantes : des délais d’accès aux médicaments parmi les plus longs d’Europe de l’Ouest (523 jours (2) en moyenne en 2024, contre 567 jours en Espagne, mais 391 jours en Italie et 50 jours en Allemagne) ; une baisse de 6 points en un an de la disponibilité des nouveaux médicaments à 60 % (contre 89 % en Allemagne et 83 % en Italie) ; une régression de l’attractivité de la recherche clinique au profit de l’Espagne ; une fiscalité sectorielle écrasante (60 % du résultat d’exploitation ponctionné en 2023, dont 88 % de fiscalité sectorielle (3)) ; et une clause de sauvegarde qui tend à se pérenniser à environ 1,6 milliard d’euros, représentant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires. Le Leem alerte par ailleurs sur des prix du médicament plus bas que la moyenne européenne (-11 % pour les médicaments sans concurrence générique et -16 % pour ceux soumis à la concurrence).
Un appel à l’action collective
« Nous atteignons les limites d’une approche purement comptable du médicament », alerte Clarisse Lhoste, présidente de la Commission Accès du Leem, rappelant que ceux-ci ne représentent que 9 % de l’Ondam. La France doit défendre son attractivité pour les investissements en recherche et en production. Elle déplore que « beaucoup d’annonces politiques n’aient pas été suivies d’effets concrets », citant notamment les propositions faites dans le cadre de la mission Borne. Vincent Guiraud-Chaumeil, trésorier du Leem et représentant de Pierre Fabre, appelle à protéger cette filière stratégique « qui a fait ses preuves durant la crise du Covid-19 ». Les intervenants ont formulé plusieurs pistes d’action autour de trois grands piliers : accélérer l’accès aux nouveaux traitements ; renforcer la recherche clinique ; et soutenir la production. Sur le premier, Clarisse Lhoste appelle à simplifier les procédures, harmoniser les systèmes d’évaluation des produits de santé dans l’Union européenne via la nouvelle procédure HTA (Health Technology Assesment), accélérer la procédure d’accès pour les vaccins, engager le système d’évaluation et de fixation des prix et renforcer la transparence et la coopération pour la gestion des pénuries. Pour faire de la France une terre d’accueil de l’innovation, elle réclame un fast-track européen de 31 jours pour les essais. Afin de renforcer la souveraineté industrielle, la dirigeante revendique une politique harmonisée des prix et des incitations fiscales. Chiffres à l’appui, elle alerte des faibles capacités de production : seuls 9,3 % des 431 nouvelles indications approuvées en Europe depuis 2020 ont a minima un site de fabrication en France. À l’aube des discussions budgétaires, les industriels appellent à une contractualisation équilibrée d’ici l’été. « Nous avons les atouts, il faut maintenant les transformer, conclut Clarisse Lhoste. La France doit redevenir un pays où l’on choisit d’investir. »
Par Juliette Badina
(1) Le baromètre 2025 se base sur un ensemble de données tirées de sources publiques et institutionnelles de références, d’études réalisées par le Leem et d’enquêtes réalisées auprès de ses adhérents
(2) Incluant l’accès de droit commun et l’accès précoce. Le nombre d’indications en phase de négociation de prix depuis plus de 500 jours a augmenté de 22 % sur un an.
(3) La part sectorielle inclut la clause de sauvegarde