Transplantation : les voies du progrès
Indication de référence pour les patients en insuffisance rénale chronique terminale, la greffe de reins reste confrontée à des difficultés majeures : dons d’organe insuffisants, hétérogénéité des équipes de transplantation, suivi post-greffe complexe, ou risques de rejet. La xénogreffe, la médecine de précision et les outils d’intelligence artificielle permettront d’améliorer la prise en charge de ces patients.
« Les patients sont restés, pendant des décennies, privés de tout progrès notamment sur les traitements anti-rejet, déplore Bruno Lamothe, responsable du plaidoyer de Renaloo. Nous voyons aujourd’hui émerger de nouvelles solutions, de vrais espoirs, pour ne pas rester une vie entière sous dialyse ! » La troisième table-ronde de la web-émission de Pharmaceutiques du 18 juin, a réuni les intervenants pour discuter de comment la xénogreffe, l’IA et la médecine de précision peuvent apporter de nouvelles solutions. Le Dr Nans Florens, néphrologue au CHU de Strasbourg, atteste que « les nouvelles technologies vont permettre une meilleure sélection des patients, pour que les greffons bénéficient au mieux à ceux-ci, en apportant une meilleure qualité de vie. » Le responsable du plaidoyer de Renaloo regrette qu’aucune grande enquête auprès des personnes concernées ne répertorie leurs attentes, espoirs, devenirs et craintes dans le domaine.
La xénogreffe, un espoir contre les pénuries de greffes
« Dans un contexte où 20 000 Français sont inscrits sur les listes d’attente de transplantation, et alors que 3 500 greffes sont réalisées en moyenne par an, les patients sont nombreux à attendre », s’alarme Dr Valentin Goutaudier, néphrologue à l’Institut de transplantation et régénération d’organes (Université Paris Cité). La xénogreffe (transplantation d’organe d’une espèce vers une autre) permettrait de pallier les pénuries de greffons. Pour Bruno Lamothe cela représente un espoir pour sortir de la dialyse. « Pour cela, il faut passer la barrière immunologique, infectieuse, et éthique/sociétale, indique Valentin Goutaudier. Les techniques d’édition du génome permettent de supprimer les antigènes présents à la surface des cellules du porc, responsables des mécanismes de rejet de xénogreffe. » Des études chez les primates ont montré une suppression des rejets hyper aigus. Des tests sur des humains en état de mort encéphalique ont permis d’étudier la réponse immunitaire humaine. Et des xénogreffes rénales ont été réalisées chez deux patients en insuffisance rénale terminale, sans autre alternative thérapeutique. « Si l’un est décédé dans les deux mois, les raisons en sont diverses », complète le néphrologue, qui n’y voit pas un échec. « Pour le moment, la technologie pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, estime le Dr Nans Florens, également secrétaire général adjoint du Club des jeunes néphrologues. Nous en sommes à décrypter la réponse physiologique et les interactions entre l’organe modifié et l’organisme humain, mais nous n’avons encore aucune idée de la façon dont ces organes vieillissent », prévient-il. D’autres pistes sont étudiées, comme des puces avec des cellules rénales. « Mais la complexité architecturale du rein reste difficile à reproduire », ajoute-t-il.
L’IA, au service de la qualité de vie
L’IA est déjà très utilisée pour la détermination des scores d’attribution des greffons, notamment sur des patients avec antécédents complexes, mais aussi pour la prédiction des risques de rejet, de perte de greffons ou de mortalité. Mais elle doit encore être développée pour personnaliser la prise en charge du patient. « En permettant d’appréhender ce qui ne l’est pas à l’échelle du malade, elle représente de gros espoirs pour les patients », assure Bruno Lamothe, qui veut aller au-delà du défi scientifique. L’IA est indispensable pour l’analyse de gros volumes de données, générés au cours des séances de dialyse notamment. « L’IA doit permettre d’améliorer la décision médicale », estime le Dr Nans Florens, citant la prévention des risques infectieux, de cancers ou de rejet, ou les cas de thromboses de l’artère du greffon rénal. « Si cela nécessite des données en quantité, il faut également des données de qualité », complète Valentin Goutaudier, constatant que celles-ci se structurent et permettent de répondre à beaucoup de questions. Il rappelle le besoin de qualifier les outils basés sur l’IA, notamment par l’EMA, afin qu’ils puissent être déployés dans le cadre de la prise en charge. L’IA devra être un moyen d’accès à l’information et à l’innovation pour davantage de démocratie en santé.
Vers des innovations organisationnelles
Les intervenants de la table-ronde relevaient un manque de moyens prioritaires dédiés à la greffe et aux prélèvements ainsi qu’un effet pervers de la T2A conduisant à prioriser les activités plus rentables pour l’hôpital. En 2015, la HAS mettait en avant la nécessité d’élaborer une stratégie commune concernant les critères d’accès au bilan de pré-transplantation et à la liste d’attente permettant davantage d’équité et de transparence dans l’accès à la greffe. Même constat dans l’accès à l’arsenal thérapeutique. « L’immunosuppresseur belatacept est homologué depuis 20 ans, mais n’est remboursé en France que depuis 2020, alors même que ses avantages ont été démontrés », constate avec regret le représentant de patients. Le belatacept a finalement été inscrit sur la liste en sus en février 2022.
L’enjeu est de donner le bon traitement au bon patient, au bon moment.
Juliette Badina