One Health : une nouvelle approche de la recherche pour guider la décision
Pour être mis en œuvre dans les politiques publiques, le concept « One Health » – Une seule santé doit d’abord s’imposer dans les pratiques de recherche, en s’appuyant sur des données. La diversité et la complexité de ces approches ont été brillamment illustrées par les intervenants de la première partie du colloque Santé & Environnement co-organisé par Pharmaceutiques et Be-Concerned.
Covid-19, variole du singe, grippe aviaire… face à ces zoonoses transmises à l’Homme, les approches « One Health » intégrant les dimensions de santé humaine, animale et environnementale, ne sont pas encore un réflexe. A l’occasion de la 5e édition du colloque Santé & Environnement co-organisé par Pharmaceutiques et Be-Concerned, qui s’est tenu à Paris le 4 juillet, Camille Besombes, médecin spécialiste en maladies infectieuses et tropicales et docteure en épidémiologie et santé publique, invite à « se reposer la question des liens » entre ces différentes sphères encore trop souvent considérées de manière isolée. Si l’on commence à constater des évolutions en matière de recherche, « avec une vraie prise de conscience de la complexité des émergences des infections », elle déplore que les stratégies soient encore trop réactives, au détriment de la prévention primaire, comme la préservation des écosystèmes, qui freinerait le passage des agents infectieux de l’animal à l’Homme.
Camille Besombes, médecin spécialiste en maladies infectieuses et tropicales et docteure en épidémiologie et santé publique :
« On gagnerait à se replacer dans des approches évolutives : ce sont des recherches sur le temps long qui permettent de comprendre les émergences et de prévoir les maladies. »
Valoriser la donnée pour l’action publique
De la « santé globale » à l’« éco-exposome », les différents concepts invitant à penser de façon plus holistique, au-delà de la santé humaine, ont eux-mêmes beaucoup évolué au cours du temps, rappelle le toxicologue Robert Barouki, directeur de l’institut thématique santé publique de l’Inserm. « Leur définition opérationnelle la plus simple est que chaque fois que l’on prend une décision, l’on devrait se poser la question de son impact sur les écosystèmes », résume-t-il. La prise de décision doit s’appuyer sur des données, « or on en manque dans de nombreux champs », constate Paul Grignon, chef de projet DATA-IA à l’Ecolab. Le projet Green Data for Health qu’il dirige vise à valoriser la donnée environnementale pour la recherche en santé-environnement. « Nous proposons notamment un catalogue de jeux de données, accessibles en ligne, pour mobiliser et valoriser la donnée pour l’action publique, précise-t-il. Aujourd’hui, la donnée privée n’est pas intégrée à ce catalogue : c’est un vrai enjeu sur lequel nous travaillons. » Deux appels à projets lancés en partenariat avec le Health Data Hub ont permis de sélectionner neuf projets de recherche en santé-environnement. Et d’autres travaux sont menés avec des acteurs territoriaux, comme par exemple l’étude du co-bénéfice des interventions d’urbanisme sur la santé et l’environnement.
« La responsabilité individuelle existe, mais tous les échelons sont importants », insiste Robert Barouki. Si certaines actions ne peuvent être conduites efficacement qu’à l’échelle internationale, d’autres sont réalisables au niveau local. « Construire des socio-écosystèmes en bonne santé ne peut pas se faire qu’entre chercheurs, mais en travaillant avec tous les acteurs du territoire », confirme Thierry Lefrançois, vétérinaire membre du Comité de veille et anticipation des risques sanitaires (COVARS).
Faire dialoguer chercheurs et décideurs
Les membres du COVARS ont publié en avril dernier un avis sur l’évaluation des risques de situations sanitaires exceptionnelles majeures pour la santé humaine en France pour 2025-2030, recommandant notamment d’aborder ces risques dans une dimension holistique (One Health et exposome), d’innover dans les organisations et de préparer tous les acteurs, y compris la population civile. Selon Thierry Lefrançois, il est particulièrement nécessaire de renforcer les interactions entre la recherche et la surveillance et pour cela, « il faut que les chercheurs et les décideurs se parlent ».
Michel Duru, directeur de recherche chargé de mission à l’Inrae :
« L’approche One Health peut nous aider à éclairer les politiques publiques, et à dessiner des futurs désirables. »
Directeur de recherche chargé de mission à l’Inrae, Michel Duru s’est pour sa part intéressé aux liens entre agriculture, alimentation et santé humaine. Il estime nécessaire de conduire au moins trois transitions : celle de l’alimentation (vers un régime plus végétalisé et moins transformé), de l’agro-écologie (qui pourrait permettre de réduire l’usage des pesticides) et des chaînes de valeur (en réduisant notamment l’offre d’aliments ultra-transformés). Ces transformations exigent une coordination des politiques publiques.
Julie Wierzbicki
L’« effet Bruxelles » au service de One Health ?
« Quand on parle de One Health, on n’a pas toujours le réflexe européen… et c’est dommage ! » Selon Anne Bucher, ex-directrice générale de la santé et de la sécurité alimentaire à la Commission européenne, invitée à introduire le colloque de Pharmaceutiques, l’UE a tous les atouts pour peser en la matière sur la scène internationale. Elle agit en effet sur les différentes dimensions. En matière de santé environnementale, elle a par exemple introduit des préoccupations One Health dans le cadre législatif sur la qualité de l’eau. En matière de santé animale, « la politique européenne est harmonisée depuis la crise de la vache folle, aussi bien en matière de traçabilité que de vaccination », rappelle Anne Bucher. Et même si la santé humaine n’est officiellement qu’une « compétence d’appui », l’UE a mis en place un certain nombre de structures et de mécanismes en matière de sécurité sanitaire. Ainsi se trouvent potentiellement réunis, selon elle, tous les ingrédients d’un « effet Bruxelles » : une notion de sciences politiques qui considère l’UE comme un leader en matière de définition des règles et des standards internationaux. « Quand un défi politique devient une question internationale, l’UE arrive à la table des négociations avec 27 pays qui sont déjà d’accord entre eux ». Et avec la clé d’un possible compromis à l’échelon mondial.