Axplora interroge la compétitivité européenne
A l’occasion d’une visite de l’eurodéputée Valérie Hayer, Axplora a ouvert le nouvel atelier de production d’anticorps monoclonaux conjugués (ADC) de son site du Mans. L’occasion pour le groupe franco-allemand d’interroger la compétitivité européenne sur la production d’ingrédients actifs (API), face à la concurrence féroce des acteurs asiatiques.
Au cœur de sa stratégie de diversification engagée, le site du Mans d’Axplora (ex-Novasep) s’est lancé en 2017 dans la synthèse d’anticorps monoclonaux conjugués (ADC, Antibody Drug Conjugates), avec l’appui d’un investissement de 11 millions d’euros. Un mouvement aujourd’hui confirmé par la finalisation d’un nouvel atelier, pour huit millions supplémentaires, qui doit permettre au groupe de chimie fine de répondre à une demande grandissante. Malgré une concurrence intense sur ces nouveaux traitements du cancer, l’offre d’Axplora se distingue en effet par ses capacités d’innovation. « Nous aidons nos clients à développer la recette de fabrication de leur produit, et surtout à l’optimiser pour qu’elle soit robuste et reproductible. Nous n’intervenons donc pas seulement en tant que CDMO, mais bien comme partenaire des laboratoires, dès les premières phases cliniques et pendant la commercialisation », explique Rachel de Luca, directrice du site.
Le nouvel atelier du site, dédié à la synthèse des toxines utilisées dans la composition des ADC, se démarque aussi par son expertise dans la purification par chromatographie, «un savoir-faire rare, notamment dans la fabrication des ADC, qui sont des molécules instables ». Installé au sein d’un bâtiment historique du site, il se démarque immédiatement des importants volumes de la production chimique par ses instruments spécialisés pour des lots qui se limitent ici à quelques centaines de grammes. « Flexibilité, agilité et adaptabilité aux volumes sont les trois mots clés de cet investissement, qui doit nous permettre d’accompagner, en France, la mise au point et la commercialisation de cette nouvelle génération d’anticancéreux », souligne Rachel de Luca.
Un débat européen
Mais ces atouts se heurtent à un environnement européen de plus en plus complexe pour l’industrie, et qui fait parfois le jeu des acteurs asiatiques, Inde et Chine en tête. « L’Europe a perdu 18 points de parts de marché dans la production d’API depuis dix ans. Cela est en partie lié à une main-d’œuvre plus chère, mais nous avons aussi des éléments structurels qui nous pénalisent, dont un cadre règlementaire qui impose des investissements conséquents », explique Françoise Durand-Rivoire, directrice ESG et Affaires publiques d’Axplora. « Selon une étude de Business Europe environ 75 % des investissements en Chine et en Inde vont directement dans l’industrie et 25 % dans la partie réglementaire et de mise en conformité. En France, c’est le contraire », abonde Guillaume Baril, membre du board de l’entreprise.
Ces critiques ne surprennent pas l’eurodéputée Valérie Hayer, bien consciente des enjeux. « Nous sommes arrivées en 2019 avec l’ambition de porter le Green Deal. Notre thématique, cette fois, sera celle de la compétitivité. » La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a elle-même mis l’accent sur la simplification administrative au service des entreprises. Un vieux serpent de mer, mais qui pourrait bénéficier d’une nouvelle dynamique, alors que chacun des commissaires européens aura une responsabilité de simplification. « L’administration Von der Leyen veut aussi lutter contre le travail en silo des commissaires pour s’assurer par exemple de la prise en compte des enjeux de compétitivité et de simplification dans chaque texte », complète Valérie Hayer.
Des précisions attendues
Mais pour Axplora et les autres acteurs de la pharma, les inquiétudes restent sur les directives et projets de la Commission européenne, comme la CS3D et le CSRD qui fixent de nouvelles normes et obligations de reporting sans différenciation entre la taille des entreprises ; les quotas d’émissions qui renforcent le coût déjà élevé de l’énergie ; ou encore du dumping des acteurs extra-européens. « Quand un laboratoire veut exporter des principes actifs en Inde, il doit payer des taxes de 15 et 20 %. Mais pour entrer en Europe, les produits indiens ne sont taxés qu’à 7 %. Sans oublier que l’UE est un marché bien plus ouvert à la concurrence que l’Inde », soulève Céline Crusson-Rubio, déléguée générale du Syndicat de l’industrie chimique organique de synthèse et de la biochimie (SICOS).
Préférence européenne dans les appels d’offres, accélération des procédures antidumping, bonus-malus sur l’empreinte carbone du médicament… En face, l’industrie ne manque pas de propositions pour renforcer sa compétitivité. Elle attend également avec impatience le Critical Medicines Act, qui doit garantir l’indépendance pharmaceutique de l’Europe, avec notamment un nouveau mécanisme européen de soutien à la production d’API. Une urgence, prévient Guillaume Baril : « Une fois que l’industrie quitte un territoire, elle ne revient pas. Le risque est de perdre une filière, des formations, et une expertise. Il faut donc agir rapidement et de façon massive. »
Fabien Nizon