Les Living Labs, acteurs clés de l’évaluation d’usage
Les Living Labs sont de plus en plus sollicités par les porteurs de projets centrés sur la santé et le bien-vieillir. Leur philosophie : impliquer l’utilisateur à tous les stades, de l’idée à la commercialisation d’une innovation. Illustration avec les LL santé-autonomie d’Occitanie, qui co-organisaient le 15 septembre un webinaire avec le pôle de compétitivité Eurobiomed.
« On pourrait trouver autant de définitions qu’il existe de Living Labs (LL) », s’amuse Stéphane Soyez, directeur des Ateliers Humanicités à l’Université Catholique de Lille, invité à témoigner lors d’un séminaire virtuel co-organisé par trois LL santé-autonomie (LLSA) occitans le 15 septembre. Le concept des Living Labs a émergé aux Etats-Unis à la fin des années 90 et s’est progressivement développé en Europe et en France à partir du milieu des années 2000. Leur hétérogénéité s’explique notamment par la diversité des acteurs et secteurs impliqués : de l’usager au géant industriel, en passant par les chercheurs académiques, les établissements de santé, les PME, les payeurs et assureurs, les acteurs locaux du développement économique… « Ce qui fait la singularité des LL, c’est la place que l’on donne à l’utilisateur dans la conception des innovations », précise Stéphane Soyez. Un principe demeure commun : le « processus de cocréation avec les usagers finaux dans des conditions réelles, en s’appuyant sur un écosystème de partenariats public-privé-citoyen » (1).
« Tiers de confiance »
Pour Charlotte Jewell, chef de projet au pôle usage de Kyomed Innov (LLSA issu d’une plateforme de recherche mutualisée du pôle de compétitivité Eurobiomed), les études d’usage menées dès l’amont du projet sont cruciales pour « réconcilier les visions des utilisateurs et du concepteur ». « Trop souvent, les besoins des utilisateurs sont considérés comme évidents, et les solutions sont conçues en fonction de ces a priori », explique-t-elle. Confier ces études d’usage au « tiers de confiance » que représente le LL doit garantir davantage d’objectivité. Un atout bien compris par les industriels, y compris les laboratoires pharmaceutiques.
« Le besoin d’analyse d’usage devient de plus en plus prégnant dans notre société, témoigne Xavier Tabary, directeur du site de R&D de Montpellier de Sanofi et vice-président d’Eurobiomed. Ce qui vaut dans la vie quotidienne vaut aussi pour le médicament : les utilisateurs peuvent être âgés, malhabiles… Nos solutions de santé autour du médicament doivent être acceptées par les patients. Nous avons besoin de faire tester ces outils par des spécialistes, et ceux-ci sont présents au sein des Living Labs ».
Du stylo injecteur au déambulateur
Dans le champ de la santé et de l’autonomie, c’est surtout dans la conception de DM et de logiciels que les LL ont démontré leur intérêt. Charlotte Jewell décrit par exemple un projet de stylo à insuline connecté, pour lequel l’approche d’évaluation centrée sur l’utilisateur a permis de « capturer les commentaires libres » des patients, en plus de s’assurer de la performance de l’outil. Pour son projet E-hé, Yves Subarroque s’est de son côté appuyé sur l’expertise du LL Santé Autonomie L’Etape pour « comprendre le refus d’usage des déambulateurs » et co-concevoir avec les usagers un nouvel outil d’accessibilité mieux accepté, s’adressant à un public plus large que les personnes âgées en perte de mobilité.
Sur des projets de plus grande envergure, la collaboration des LL peut s’avérer nécessaire. En Occitanie, une démarche de mise en réseau des cinq LLSA régionaux a été initiée dès 2016. « Cette « brique » vient s’ajouter aux éléments mis à disposition de nos adhérents porteurs de solutions de santé », se réjouit Christelle Piatti, chargée de mission Living Labs Occitanie du pôle de compétitivité Eurobiomed, co-organisateur du webinaire.
Un modèle économique encore flou
L’hétérogénéité des LLSA se reflète dans leurs modèles économiques. Les structures peuvent aussi bien prendre la forme d’équipes hébergées par des universités sans statut juridique, que d’entreprises privées à l’instar de Kyomed Innov, pionnière du genre. « Le Forum national des LLSA ne donne pas de modèle économique de référence : suivant les projets accompagnés, la proposition de valeur et les structures intéressées ne sont pas les mêmes, souligne Robert Picard, co-fondateur du Forum, structure fédérant les LLSA en France. Mais il peut être intéressant d’avoir une part d’activité importante dans le champ de l’évaluation, surtout si l’on associe l’évaluation clinique à l’évaluation d’usage. Le Forum s’est d’ailleurs fortement rapproché du réseau des centres d’investigation clinique – innovation technologique (CIC-IT) labellisés par le ministère de la Santé. L’avenir est à la conjugaison de ces deux approches. »
Julie Wierzbicki
(1) Définition figurant dans le Livre Blanc des Living Labs (Patrick Dubé et al., Montréal, 2014)