Stratégie vaccinale : communiquer vite… et bien !
L’Institut Montaigne vient de rendre publique une note intitulée « Vaccination en France : l’enjeu de la confiance ». Sous la plume de Nicolas Bauquet, directeur délégué à la recherche et à la transformation publique et Laure Millet, responsable du programme santé, le think tank met en exergue les défis posés aux autorités sanitaires pour convaincre l’opinion publique sur l’intérêt de la vaccination contre le Covid19.
L’Institut Montaigne vient de publier une note sur les enjeux de la vaccination contre le Sars-CoV2. Pour gagner la confiance du public, quels défis doivent relever en priorité les pouvoirs publics ?
L’intitulé de notre note pose d’emblée le contexte : « Vaccination en France : l’enjeu de la confiance ». Cette campagne vaccinale repose en effet sur plusieurs paramètres totalement inédits, qui ne favorisent pas a priori l’adhésion de la population. En premier lieu, elle s’attaque à un virus encore inconnu en début d’année et qui conserve beaucoup de mystères pour la communauté scientifique au moment où se dessine la solution vaccinale. Les médecins ne cessent de nous le répéter depuis dix mois, la connaissance scientifique se construit au fil des découvertes sur le comportement du virus. De nombreuses questions restent en débat, comme sa vitesse de circulation, sa capacité à muter, ses effets durables sur les patients infectés, la mise au point de traitements en mesure de diminuer l’incidence des formes graves ou encore l’efficacité réelle des vaccins proposés en termes de durée d’immunité. L’absence de réponses claires à ces questions, à la veille de la première phase de vaccination, suscite des réserves compréhensibles pour une partie de la population. Des réserves d’autant plus marquées dans un pays qui manifeste, depuis plusieurs années, un taux de scepticisme vaccinal parmi les plus élevés au monde. Il faut donc, et sans tarder, s’engager dans une démarche de communication active, ciblée, pédagogique, évolutive, et qui visera notamment à contrer l’ensemble des rumeurs, fausses informations et mauvaises interprétations de nature à alimenter l’opposition au vaccin.
La première des urgences consiste à garantir le bénéfice/risque de ces vaccins, alors que l’opinion publique a du mal à comprendre comment ils ont pu être conçus en si peu de temps. Que dire aux Français pour les rassurer ?
En effet, l’accélération extraordinaire de la recherche, sur ce plan, a de quoi surprendre. Voilà des chercheurs qui mettent au point en dix mois des solutions exigeant en moyenne dix ans de développement. Une performance qui, à défaut d’être expliquée, nourrit les suspicions. Le sondage mené par Kantar dans cinq pays européens et que nous citons dans l’étude indique ainsi que 69% des Français sont inquiets sur la sécurité des vaccins en raison de leur rapidité de mise au point. C’est nettement plus qu’en Italie (56%), en Grande-Bretagne (53%) ou en Allemagne (41%). Il est donc essentiel d’insister sur les facteurs de cette réussite : la collaboration sans précédent entre industriels et autorités sanitaires, le déploiement en cumulé des phases de recherche clinique (phases I à III), le recours à des plate-formes technologiques déjà utilisées face à d’autres types de virus, le rôle majeur de l’IA dans l’interprétation des données, la taille inédite des populations incluses dans les essais cliniques…
Les pouvoirs publics ont promis la plus grande transparence sur le processus de vaccination. En quoi est-ce un élément déterminant pour la réussite de cette campagne de santé publique ?
La population est en attente de cette transparence. Les sondages indiquent qu’environ la moitié des Français hésitent à se faire vacciner : la partie n’est pas perdue, et il faut donc tout faire pour les convaincre ! Il faut expliquer, de façon simple mais précise, le processus de recherche et les conditions d’accès au marché. Et il ne faut surtout pas dissimuler les difficultés ni les points qui restent à éclaircir : pour maîtriser collectivement l’incertitude, il faut d’abord l’accepter. Il faudra également être transparent durant la phase opérationnelle, en décrivant précisément les détails logistiques, par exemple sur la préservation de la chaine du froid. Le pilotage de cette campagne doit s’effectuer par la donnée : un système d’information particulièrement fin et réactif doit être mis en œuvre, capable de documenter en continu l’efficacité réelle et le profil de sécurité des vaccins, mais également l’immunité individuelle puis collective. Les pouvoirs publics ont par ailleurs décidé de créer un conseil stratégique, présidé par le Pr Alain Fischer. Il s’attachera notamment à inclure davantage le citoyen dans la gestion de la crise, ce qui est une bonne chose. Enfin, l’un des défis majeurs sera d’emmener les professionnels de santé. Par leur proximité, le degré de confiance dont ils bénéficient auprès de la population, ils seront les meilleurs vecteurs pour lutter contre l’hésitation vaccinale. Il est notamment vital de leur proposer un cadre précis, simple d’usage, attractif sur le plan tarifaire, afin que l’acte vaccinal puisse s’effectuer dans les meilleures conditions d’efficacité et de sécurité, pour eux comme pour leurs patients.
Il faut par ailleurs mener une campagne d’information cohérente, structurée, insistant sur les bénéfices du vaccin. Comment bien s’y prendre ? Outre la mobilisation des bons émetteurs, dont en priorité les médecins généralistes, mais également les élus locaux, les figures associatives ou les personnalités préférées des Français, il parait souhaitable de cibler les personnes qui sont favorables aux vaccins, ou qui n’y sont pas hostiles. Personne ne les entend, aujourd’hui, car l’attention médiatique se focalise sur l’hésitation vaccinale. Trois niveaux de communication pourraient être imaginés : une campagne nationale de grande envergure à partir de messages simples et harmonisés, une campagne spécifique pour les professionnels de santé et une campagne dédiée aux associations travaillant avec des publics précaires. Les leviers de communication doivent être adaptés à ces publics et activés par des relais de proximité. Enfin, il apparait nécessaire, toujours dans un souci de transparence, de concevoir cette communication selon trois degrés d’information : les faits connus et validés, les faits en cours d’instruction et ceux qui sont encore inconnus. Dernier point à retenir : la campagne de communication sur le vaccin doit s’intégrer dans celle, plus globale, sur la crise sanitaire dans son ensemble. Il faut le dire aux Français : même réussie, la vaccination ne suffira pas pour vaincre l’épidémie. Faute de certitudes sur la capacité des vaccins à empêcher la circulation du virus, les personnes vaccinées devront continuer à respecter les gestes barrières. La ligne de crête est donc ténue : ce qui se joue, derrière cette crise, c’est aussi l’avenir de notre modèle démocratique, fondé sur la liberté de choix et le sens de la solidarité entre tous les citoyens.
Hervé Réquillart