Ruptures de parcours : quelles leçons de la crise ?
Les restrictions sanitaires liées à la pandémie de Covid-19 ont fortement impacté la continuité des parcours de soins. Les intervenants de la 2e table ronde du colloque de Pharmaceutiques « Ma santé coordonnée, 2022 et après ? » ont témoigné de ces ruptures et présenté des solutions à même de renforcer la continuité des parcours, y compris hors du contexte Covid.
La situation sanitaire des personnes âgées s’est aggravée durant la crise Covid, et pas seulement du fait d’un taux de morbi-mortalité plus élevé en cas d’infection par le SARS-Cov-2. « Les patients âgés fragiles, susceptibles de basculer vers la dépendance, connaissaient déjà un risque majoré de rupture dans leur parcours de soins, lié à l’absence de reconnaissance et de prise en compte de leurs vulnérabilités », explique le Pr François Puisieux, gériatre chef de pôle du CHU de Lille, lors du colloque de Pharmaceutiques « Ma santé coordonnée, 2022 et après ? » . L’insuffisance de coordination entre les acteurs et d’anticipation des situations de décompensation qui peuvent amener les personnes âgées à l’hôpital, ainsi que les difficultés d’accès au médecin généraliste sur certains territoires, constituent autant de risques qui « ont été renforcés depuis le début de la crise sanitaire », estime-t-il. Pour garantir le droit à un parcours de santé coordonné pour ces populations, il propose de lutter contre l’âgisme en renforçant leur participation, d’effectuer un retour d’expérience sur la crise sanitaire valorisant les « expériences réussies », ou encore de mieux équilibrer les mesures restrictives et la préservation des relations familiales et sociales. Le rôle des professionnels de la coordination est pour lui essentiel.
Former à la coordination des parcours
Former de tels professionnels est justement l’objectif des Masters d’infirmier en pratique avancée, une formation que suivait Elodie Manzato (à droite), infirmière coordinatrice de parcours à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, au moment du premier confinement au printemps 2020. « Même si nous avons limité les déprogrammations, nous en sommes encore à reprogrammer des soins de patients qui n’ont pas pu se rendre à l’hôpital depuis le début de la pandémie », rapporte-t-elle. Mais des ruptures surviennent aussi indépendamment de toute crise sanitaire, et notamment, quand les pathologies interviennent dès l’enfance, lors du passage du service « pédiatrique » vers le service « adulte ». Elodie Manzato a ainsi travaillé à la mise en place d’une plateforme de transition pour coordonner les parcours des jeunes adultes atteints de neuropathies chroniques. Celle-ci regrette que le master de pratiques avancées ne soit pour l’instant ouvert qu’aux infirmiers, car « la coordination concerne bien d’autres métiers du soin ».
Les patients acteurs de la continuité
La coordination de leurs parcours concerne aussi les patients eux-mêmes, comme en témoigne Axelle Ayad N’Ciri (à gauche), patiente polypathologique chronique. Celle-ci a créé le site www.mappatho.com pour aider les patients à trouver dans leur zone géographique les professionnels de santé spécialisés dans leur pathologie, recommandés par d’autres patients ou des associations. « L’idée était de faire en sorte que les informations détenues par les associations de patients soient mises à disposition de tous », résume-t-elle. Durant la crise, une page a également été crée pour recenser les médecins spécialistes disponibles pour prendre en charge des patients supplémentaires en dehors de leur patientèle habituelle.
Si la crise Covid a favorisé l’émergence de nouveaux outils, « un certain nombre existaient déjà bien avant, comme le dossier médical partagé, relève Jacques Lucas, président de l’Agence du numérique en santé. Mais ni les professionnels de santé ni les patients ne se les étaient réellement appropriés. » Selon lui, si les solutions prévues dans le plan « Ma santé 2022 » avaient été mises en place deux ans plus tôt, la crise n’aurait pas généré tant de difficultés dans la continuité des parcours. L’agence travaille actuellement avec l’assurance maladie à la création d’un « bouquet de services numériques » à destination des professionnels et des patients, incluant un catalogue d’applications référencées. Il s’en montre persuadé : « Le numérique bien employé viendra renforcer l’humanisme dans la prise en charge. »
Julie Wierzbicki
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