Emmanuelle Quilès, Janssen : « Fière de mes équipes »
Dirigeante emblématique de Janssen France, Emmanuelle Quilès quitte son poste pour des responsabilités à l’international. Retour sur ses quelque sept années à la tête d’une filiale qui a connu une forte croissance.
Vous quittez la présidence de la filiale France de Janssen, après plus de six ans aux commandes. Pourquoi ce choix de carrière ?
C’est une suite logique dans mon parcours professionnel. Cela fait un petit moment que je souhaitais évoluer à l’international, pour découvrir d’autres horizons et relever de nouveaux challenges. Après douze années où j’ai pu exercer la fonction de dirigeante de filiale, chez Janssen mais également dans d’autres entreprises de santé, j’ai eu le sentiment d’avoir fait un peu le tour de la question, après avoir donné le maximum. Scientifique de formation, j’ai une réelle soif d’apprendre. Lorsque l’opportunité s’est présentée, chez Janssen, de prendre la présidence Monde d’une activité regroupant plusieurs aires thérapeutiques, je n’ai pas pas hésité une seconde. Je vais pouvoir m’engager dans des stratégies de long terme : c’est une chance et un honneur, car très peu de postes le permettent, dans un environnement très marqué par l’innovation, et avec des perspectives de solutions thérapeutiques qui s’annoncent majeures pour les patients.
Quelles aires thérapeutiques allez-vous prendre en charge, et avec quels défis à relever pour réussir cette nouvelle phase de votre parcours professionnel ?
Je prends en main, à partir du 1er août, l’activité Monde dédiée au cardio-vasculaire, au métabolisme et à l’hypertension artérielle pulmonaire. C’est un portefeuille large et diversifié, qui cumule des produits de niche et d’autres destinés au marché de la médecine générale. Les enjeux de santé publique sont considérables, face à une multitude de pathologies qui restent à l’origine de nombreux décès chaque année dans le monde entier. Notre groupe, par la diversité de son pipeline, par la puissance de sa R&D, porte une responsabilité majeure pour répondre aux fortes attentes des patients. La mission qui m’est confiée comporte en effet plusieurs défis, que je suis impatiente de relever. Mon poste exige d’abord d’être en étroite connexion avec les équipes de R&D, afin de mener à bien le développement des produits jusqu’au marché. C’est une façon, pour moi, de ”boucler la boucle” : j’ai effectué mes huit premières années de carrière dans la R&D. Je vais devoir également manager des équipes multiculturelles, dont la moitié installée en Suisse où je résiderai, et l’autre aux Etats-Unis. Il faudra, enfin, accélérer la dynamique des collaborations, en interne comme en externe. L’épidémie de Covid 19 nous oblige, tous, à revoir nos schémas de développement.
Justement, comment la pandémie invite-t-elle à revoir les modèles de développement de l’industrie pharmaceutique ?
Elle nous montre d’abord, à tous les échelons de nos entreprises, à quel point ce que nous pensions impossible avant devient réalité. L’accélération de la digitalisation, l’organisation du travail en mode distanciel, les coopérations élargies à l’ensemble des acteurs de l’écosystème de la santé, la capacité à décider vite et à réduire considérablement les phases de développement des innovations, la possibilité d’assouplir les règles d’accès au marché… nous avons inventé, collectivement et avec l’ensemble des parties prenantes, les bases d’un nouveau modèle pour la santé. Il est sans doute trop tôt pour définir précisément le business model de la Pharma. Ce que je crois, c’est qu’il faudra, dans nos groupes, analyser avec rigueur comment nous avons su nous adapter et savoir capitaliser sur les meilleures pratiques.
Face aux enjeux sanitaires posés la crise, la Pharma porte-t-elle aujourd’hui une nouvelle responsabilité sociétale ?
A mon sens, notre principale mission n’a pas changé : tout miser sur l’innovation pour accélérer le progrès médical et scientifique au service des patients. Sur le plan sociétal, il ne faut pas se tromper de combat : l’important, ce n’est pas la marque, mais le médicament mis à disposition du patient. Plus que jamais, nous devons nous engager pour que le bon médicament soit délivré au bon moment et au bon patient, avec l’exigence de veiller à son bon usage et à l’adhésion du patient. Par ailleurs, la crise renforce sans aucun doute la responsabilité des entreprises de santé vis-à-vis des parties prenantes, qu’il s’agisse des autorités de santé, des professionnels, des payeurs ou de nos partenaires publics et privés. Mais cette démarche n’est pas nouvelle. Chez Janssen, la RSE est au cœur de notre Credo… rédigé en 1943 ! La crise sert de révélateur et doit nous pousser à aller encore plus loin dans la transparence, la collaboration et l’esprit de solidarité.
Quel bilan faites-vous de vos quelque sept années passées à la présidence de la filiale France ?
Un chiffre résume bien, selon moi, ce que nous avons pu réaliser avec les équipes que j’ai eu l’immense honneur de diriger : le CA a augmenté de 45%. Et nous sommes passés du 7eme au 4eme rang sur le marché français. Si la performance doit beaucoup au pipeline de l’entreprise, elle est aussi la conséquence du formidable engagement des équipes de la filiale. Je suis très fière de leur enthousiasme, de leur créativité, qui font des merveilles, et la crise sanitaire n’a fait que renforcer leur engagement.
Avez-vous un regret ?
Pas réellement, sinon celui de n’avoir pas pu passer plus de temps avec les équipes. Je n’ai pas eu le temps de bien connaitre tous mes collaborateurs, même si je conserve le souvenir de moments forts avec beaucoup d’entre eux.
Et votre candidature au LEEM ?
Aucun regret non plus. Je l’ai dit à l’époque, j’avais de quoi m’investir fortement pour mon entreprise, mais aussi pour porter des projets d’avenir comme la place de l’Intelligence Artificielle dans nos entreprises. La campagne reste un très bon souvenir, aussi bien en interne qu’à l’extérieur. Elle m’a permis de rencontrer des personnalités inspirantes, d’élargir mon réseau et d’approfondir mes connaissances sur le système de santé.
Votre parcours est également marqué par un fort engagement au service de l’équité Femme/Homme. La situation s’améliore-t-elle dans la Pharma ?
Sans aucun doute, même s’il faut sans arrêt se mobiliser pour parvenir à progresser. Dans l’industrie pharma, l’équation est simple : 70% des effectifs sont féminins. Pourquoi, alors, ne retrouve-t-on pas plus de parité au sommet de la hiérarchie ? Au CoDir de Janssen France, 60% des membres sont des femmes… mais elles n’y siègent pas en raison de leur genre ! Même si je ne suis pas opposée à la politique des quotas, je me suis toujours appliquée à privilégier la compétence plutôt que le sexe. Récemment, après la promotion d’une femme à l’international, j’ai ainsi recruté un homme pour la remplacer à la tête d’une Business Unit. L’enjeu, pour moi, reste de convaincre les femmes qu’elles peuvent réussir, à la condition de s’en persuader elles-mêmes. C’est le premier combat qu’il faut mener pour briser le plafond de verre.
Un dernier mot avant de partir pour la Suisse ?
Peut-être un compliment qui m’a été adressé par l’un des dirigeants du groupe et qui m’honore particulièrement : « vous avez réussi à stimuler sans relâche l’innovation au sein de votre filiale, en instillant une culture très 21e siècle, ce qui nous a permis de changer de regard sur le marché français ». Si c’est le cas, alors je peux partir sans regrets !
Entretien avec Hervé Réquillart