ASCO 2022 : SACHA, un registre pour les prescriptions hors-AMM aux jeunes patients cancéreux
Présentés à l’ASCO 2022 par le Pr Gilles Vassal, oncopédiatre à Gustave Roussy, les premiers résultats de l’étude SACHA (Sécurisation de l’accès aux molécules innovantes en cancérologie et en hématologie pour les enfants, les adolescents et les jeunes adultes) démontrent la faisabilité et la pertinence d’une collecte exhaustive des données de vie réelle de patients pédiatriques, traités pour leur cancer en dehors d’un essai clinique et du cadre d’une AMM. Retour avec le Pr Vassal sur les principaux enseignements de SACHA et ses perspectives.
Comment s’inscrit l’étude SACHA dans le développement de l’innovation contre les cancers pédiatriques en France ?
Pr Gilles Vassal : Le programme MAPPYACTS (1), promu par Gustave Roussy, a installé la médecine de précision en oncopédiatrie, en proposant un séquençage de leur tumeur à tous les jeunes patients en rechute de leur cancer. C’est à partir de ce programme qu’est né le plan France médecine génomique (PFMG), pour la partie concernant les cancers pédiatriques. Parallèlement on a vu se développer le pipeline d’essais testant des molécules innovantes dans les cancers pédiatriques. L’essai AcSé-eSMART notamment, a permis d’augmenter leur nombre de façon significative : depuis 2016, 17 anticancéreux ont été évalués dans ce cadre dans des indications pédiatriques !
Mais malgré ces efforts, en France, 40 à 50 % des enfants ou adolescents atteints d’un cancer et en échec thérapeutique ne peuvent ni bénéficier d’une molécule autorisée pour leur pathologie ni entrer dans un essai clinique. Le médecin n’a d’autres choix que de solliciter auprès de l’ANSM un accès compassionnel (AC, anciennement ATU nominative) ou de traiter « off label », hors AMM, en utilisant des médicaments autorisés pour l’adulte mais par pour l’enfant. Si le recueil des données est désormais obligatoire dans le cadre d’un AC, il ne l’était pas pour les ATUn et ne l’est toujours pas pour une administration « off label ».
Avec SACHA, notre objectif est d’assurer la sécurité d’emploi de ces traitements en recueillant de façon systématique les données de toxicité, mais aussi les données d’efficacité… ou de non-efficacité. Dans le premier cas, il s’agira d’encourager le lancement d’un essai clinique dans l’indication concernée ; dans le second, de mettre fin à des prescriptions individuelles délétères.
Cette étude observationnelle a été lancée en mars 2020. Quels principaux enseignements en avez-vous déjà retirés ?
Le premier porte sur l’importance de ces prescriptions hors AMM : 329 patients ont été inclus en 26 mois, au travers des 32 centres d’oncohématologie pédiatrique engagés sur tout le territoire. Le deuxième est la faisabilité. Grâce au très fort soutien de l’ANSM, nous recueillons les données de manière exhaustive de tous les accès compassionnels en oncopédiatrie délivrés par l’agence. Au total, des données ont été recueillies sur 52 médicaments différents, dont les deux-tiers ont été prescrits en fonction du portrait moléculaire de la tumeur, établi après adressage du patient au PFMG. SACHA s’inscrit pleinement dans la structuration de la prise en charge des patients pédiatriques en France : les données collectées sont régulièrement partagées et discutées en réunion de concertation pluridisciplinaire.
Enfin, le programme génère des informations utiles. Par exemple, nous avons pu documenter deux évènements indésirables graves inconnus jusqu’ici. A l’inverse, des données d’efficacité colligées dans SACHA sur une molécule MET-inhibitrice ont conduit à l’ouverture d’un nouveau bras dans l’essai clinique Acsé-eSMART.
Comment étendre ce registre au-delà de la France et surtout comment le pérenniser ?
Nous sommes en train de monter un programme SACHA international, qui devrait s’ouvrir avant la fin de l’année, avec la participation de sept autres pays européens ainsi que de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Suite à la présentation à l’ASCO j’ai aussi reçu des marques d’intérêt de collègues américains, car le recueil de données « off label » est là-bas un réel enjeu.
La question de la pérennisation pose celle du financement. Jusqu’à présent nous avons été appuyés par des fonds publics et associatifs (Imagine for Margo, Hubert Gouin « Enfance et cancer » et la Fondation du Leem). Maintenant que la faisabilité et la pertinence de SACHA sont démontrées, nous pourrions prétendre à des financements de long terme des plans cancers français et même européen. Il faudrait aussi réfléchir à un soutien financier industriel. Après tout en France le recueil obligatoire des données dans le contexte des accès compassionnels et des accès précoces incombe aux laboratoires !
Nous avons le cas de Bayer, dont l’anticancéreux Vitrakvi® n’est remboursé en France que dans une partie de son indication pédiatrique, et sous condition de tenue d’un registre prospectif recensant tous les patients pédiatriques traités en France par ce médicament, dans et en dehors du périmètre du remboursement. A la demande du laboratoire, nous avons ouvert dans SACHA une cohorte dédiée. C’est peut-être ce type de partenariat qui contribuera à financer le registre de façon durable…
Propos recueillis par Julie Wierzbicki
(1) Molecular Profiling for Pediatric and Young Adult Cancer Treatment Stratification – MAPPYACTS. Les résultats finaux ont été publiés en mai 2022 dans Cancer Discovery.