ESMO 2022 : espoirs et questionnements sur les immunothérapies au stade précoce
Alors que l’efficacité des immunothérapies n’est plus à démontrer dans de nombreux cancers métastatiques, leur place dans la stratégie de prise en charge des cancers en stade précoce soulève d’importantes interrogations. Le congrès annuel de l’ESMO qui s’est tenu à Paris du 9 au 13 septembre a apporté quelques réponses.
Depuis la première autorisation d’un inhibiteur de point de contrôle immunitaire (l’anti-CTLA-4 Yervoy® de Bristol Myers Squibb) dans le mélanome métastatique, il y a déjà plus de dix ans, les immunothérapies ont changé la donne dans les cancers les plus avancés. Plus récemment ont été octroyées de premières AMM pour des anti-PD1 (Opdivo® de BMS et Keytruda® de Merck / MSD) à des stades précoces, en situation adjuvante (après résection chirurgicale de la tumeur) ou même néoadjuvante (avant chirurgie). Pour autant, « nous sommes tous conscients de l’impact de l’immunothérapie au stade métastatique, mais il existe encore de nombreuses interrogations quant à sa place dans les stades précoces de cancer », a estimé le Pr Karin Jordan, de la clinique Ernst von Bergmann de Potsdam (Allemagne), en introduisant le deuxième symposium présidentiel du congrès de l’ESMO à Paris, le 11 septembre dernier. Quatre études cliniques portant sur l’utilisation d’immunothérapies à des stades pré-métastatiques y ont été présentées… avec des résultats mitigés.
Des résultats décevants
Dans l’étude randomisée de phase III CheckMate 914, l’association de Yervoy® et d’Opdivo®, administrée après une néphrectomie comme traitement d’un carcinome à cellules rénales à haut risque de récidive, n’a pas permis de diminuer le risque de rechute. Des résultats en contradiction avec ceux obtenus par Keytruda® dans une précédente étude (Keynote-564), qui avaient conduit à l’approbation de ce médicament par la FDA dans cette même indication fin 2021. Par ailleurs, Keytruda® a obtenu des résultats décevants dans l’étude Keynote-412, également présentée la semaine dernière à l’ESMO. Associé à la chimioradiothérapie (CRT) dans le carcinome épidermoïde localement avancé de la tête et du cou, il n’a pas permis une amélioration statistiquement significative de la survie sans évènement (progression métastatique ou autre) par rapport à la CRT seule, alors que son efficacité au stade métastatique dans cette pathologie est déjà bien établie. Une analyse en sous-groupe doit être réalisée pour mesurer l’influence de l’expression du marqueur PD-L1 sur les résultats. Pour le Pr Fabrice André (Gustave Roussy), co-président du conseil scientifique du congrès, de nombreuses questions demeurent : vaut-il mieux administrer ces thérapies avant ou après chirurgie, pour les cancers opérables ? Est-il pertinent de les combiner ? Quelle est la durée optimale de traitement ?
Net bénéfice en néoadjuvant
Sur au moins l’une de ces questions, l’édition 2022 du congrès de l’ESMO apporte une première réponse. L’étude de phase II randomisée SWOG S1801 démontre pour la première fois le bénéfice d’une administration de Keytruda® en situation néoadjuvante et adjuvante (trois doses avant chirurgie et quinze après) par rapport à une administration uniquement adjuvante (18 doses post-chirurgie), dans le traitement du mélanome opérable de stade III-IV. Après deux ans de suivi, le taux de survie sans événement atteint 72 % dans le premier cas, contre 49 % dans le second. Pour le Pr Sherene Loi (Université de Melbourne, Australie), invitée à commenter ces résultats, « cet essai randomisé valide cette approche, qui devrait désormais être considérée dans tous les types de cancers. » Par ailleurs une autre étude, NICHE-2, a livré des résultats prometteurs dans le cancer du côlon localement avancé avec un déficit du système de réparation des mésappariements de l’ADN (MMRd, qui concerne 10 à 15 % des cancers du côlon). Quatre semaines de traitement combinant Yervoy® et Opdivo® au stade néoadjuvant ont permis d’obtenir une réponse majeure (moins de 10 % de tumeur résiduelle viable) dans 95 % des cas. S’il faudra attendre 2023 pour connaître les résultats de la survie sans récidive à trois ans, ces premières données permettent d’espérer à l’avenir, pour certains cancers, un bon niveau d’efficacité avec des traitements courts, soit une vraie désescalade thérapeutique pour les patients.
Des critères à ajuster
Ces différentes études montrent toute la difficulté d’évaluer les traitements à des stades précoces. Cela requiert notamment de recruter davantage de patients que pour les cancers très avancés afin de montrer un bénéfice statistiquement significatif, dans un contexte de compétition exacerbée entre laboratoires. Mais pour Philippe Bonnard, directeur des affaires médicales oncologie de MSD France, les critères d’évaluation sont également à revoir. « Pour démontrer l’efficacité, le « gold standard » demeure le gain de survie globale ; or ce critère est beaucoup plus difficile à établir dans les stades précoces que dans les phases très sévères de la maladie. » D’autant plus quand une intervention très tôt dans l’évolution de la tumeur peut laisser envisager une guérison. Aux stades métastatiques, des corrélations entre la survie sans progression et la survie globale ont pu être démontrées par des études, par exemple dans le mélanome métastatique. Aux stades plus précoces, « pour démontrer la corrélation entre survie sans évènement et survie globale, on a besoin de plus de temps. Comment peut-on alors valoriser cette intervention au stade précoce et accompagner le changement de pratique en attendant les données de survie globale ? », s’interroge Boris Danilovic, directeur de l’unité thérapeutique oncologie de MSD France. « C’est une réflexion qui doit venir aussi des autorités, et que l’on doit construire tous ensemble, avec les experts médicaux », conclut Philippe Bonnard.
Julie Wierzbicki