Maladies rares : un enjeu de société
En donnant largement la parole aux acteurs, aux patients et à leurs accompagnants, l’Observatoire Alexion des maladies rares invite à changer de regard sur les enjeux de ces pathologies et à s’interroger sur le vécu des malades dans leur quotidien, en dehors de l’hôpital.
« Considérer les maladies rares comme un enjeu de société et non pas seulement un enjeu médical ». Telle est la philosophie, résumée par le Pr Olivier Blin, chef de service à l’Hôpital de la Timone et coordinateur du réseau d’expertise OrphanDev, du rapport Regards croisés sur les maladies rares. Porté par OrphanDev et par le laboratoire Alexion (filiale d’Astrazeneca), il a été présenté ce 28 février 2023, journée internationale des maladies rares, lors d’un colloque organisé à Paris. « S’intéresse-t-on assez à la personne et à son vécu, au-delà du prisme médical ? La vision de l’individu dans sa prise en charge au quotidien n’est pas encore assez considérée », reconnaît le Pr Blin. « Ce sont souvent des médecins ou soignants, parfois des associations de patients, qui parlent des maladies rares, mais on entend rarement la parole non filtrée des parties prenantes », constate pour sa part Ronan Le Joubioux, directeur des affaires publiques et gouvernementales d’Alexion France. Le prisme doit également changer pour les industriels du médicament ou du dispositif médical : il ne s’agit plus seulement d’adresser des « problèmes médicaux non résolus », mais des problèmes non résolus tout court !
Une vision sociologique au-delà du soin
Pour explorer cette nouvelle vision, les promoteurs ont fait appel à un sociologue, Serge Guérin, expert sur certains sujets de santé publique comme le vieillissement ou la question des aidants, mais « totalement ignorant en matière de maladies rares », assure-t-il. « Cela m’a donné cet avantage de ne pas avoir d’a priori ». Une trentaine d’entretiens couvrant l’ensemble des parties prenantes – dont deux tiers auprès de patients ou plus souvent de parents de patients – ont abouti à un rapport mêlant témoignages, pédagogie et propositions. Celles-ci se veulent des « pistes de travail et de discussions », alors que celles autour d’un potentiel quatrième Plan national maladies rares (appelé de ses vœux par toute la communauté) n’ont pas encore permis d’aboutir à une décision en ce sens.
Si nombre de ces propositions sont communes à celles portées de longue date par de nombreux acteurs (meilleure représentation des malades dans les instances de gouvernance, sensibilisation des médecins dès leur formation, nouvelles modalités d’évaluation des médicaments…), d’autres se démarquent, comme par exemple l’instauration d’une délégation interministérielle aux maladies rares, impliquant, au-delà de la Santé, les ministères de l’Education, du Travail, des Transports et du Logement. « L’enjeu est bien de faciliter la vie des patients au-delà du soin et d’accompagner la personne dans sa globalité », martèle le sociologue.
Reconnaître l’expérience des accompagnants
Un accent particulier est mis sur la place des familles et notamment des femmes, autrefois qualifiées « d’aidants naturels ». « Les aidants exercent un travail à temps plein, qui devrait être reconnu comme tel », estime le député Philippe Berta, président du groupe d’études de l’Assemblée nationale sur les maladies rares. Lors du colloque, Nadège Rallu-Planchais , présidente de l’association Hypophosphatasie Europe, a témoigné de sa vie quotidienne « d’accompagnante » – terme qu’elle préfère à « aidante » – auprès de son fils de sept ans, ayant mis en pause sa vie professionnelle. « Combien fait-on économiser à l’Etat en accompagnant nos enfants 24 heures sur 24 ? », questionne-t-elle. Assurant qu’elle ne « changerait rien à sa vie », elle souhaite une meilleure reconnaissance, notamment financière, et de ne plus avoir sans cesse à « se justifier » auprès des administrations. « L’on n’est pas dans une culture « victimaire », mais dans une culture de la débrouille, insiste Serge Guérin. Être patient ou parent de patient est une véritable expérience, qui pourrait être utile à d’autres… et pas simplement pour communiquer sur les maladies rares ! » Le rapport propose ainsi d’instaurer une VAE (validation des acquis de l’expérience) spécifique des maladies rares pour « prendre la mesure des trésors d’inventivité développés pour faire face à la situation ».
Ce document a vocation à être diffusé « le plus largement possible », au-delà de la communauté des maladies rares, « à tous les acteurs qui s’occupent de la vie des personnes. Si l’on reste dans l’entre-soi, on a perdu », affirme Ronan Le Joubioux.
Julie Wierzbicki