Charges et produits : le médicament dans le viseur de l’Assurance Maladie

Le montant des économies proposées par l’Assurance Maladie, dans son nouveau rapport Charges et produits, atteint des niveaux inédits. Fait marquant : les produits de santé contribueront très largement aux efforts demandés pour stabiliser la dégradation du déficit durant les cinq prochaines années. Explications.
Sous pression après la sortie fracassante de la Cour des comptes et le récent avis du Comité de suivi de l’Ondam, l’Assurance Maladie a rédigé sa prescription. Dans son nouveau rapport Charges et produits, la Cnam formule soixante propositions pour économiser 22,5 milliards d’euros avant la fin de la décennie, dont 3,9 milliards en 2026. Des montants inédits… « Nous sommes arrivés au point de bascule. Il faut désormais faire des choix clairs et structurants, dans un dialogue lucide et exigeant avec tous les acteurs, pour préserver notre système de santé solidaire. Ce rapport marque une étape nouvelle : il propose une vision de moyen terme, des leviers concrets et une trajectoire ambitieuse », affirme Thomas Fatôme, directeur général de Cnam. Dans un périmètre financier très dégradé, la difficulté sera de contenir la progression naturelle des dépenses sans altérer la qualité ni la sécurité des soins. Un exercice délicat qui nécessitera des mesures de régulation adaptées pour atténuer les effets conjugués du vieillissement et de la chronicité, dont la prévalence va significativement augmenter. Sans action particulière, le déficit de la branche maladie pourrait atteindre 41 milliards d’euros en 2030. Deux hypothèses macro-économiques sont formulées pour équilibrer les flux au cours des cinq prochaines années : indexer le niveau de dépenses sur le rythme de progression du PIB et stabiliser la part financée par l’AMO à 80 %. Viendra ensuite le temps de solder le stock qui, selon les dernières prévisions, serait de 16 milliards en 2025.
Trois chantiers prioritaires
La Cnam fixe trois conditions sine qua non pour respecter son plan de marche : faire de la prévention un véritable levier de transformation pour ralentir la progression des maladies chroniques ; repenser l’organisation des soins en privilégiant les parcours coordonnés, au plus près des réalités de terrain ; renforcer la recherche de qualité et de pertinence, en instaurant une politique du « juste soin au juste coût », au service d’un système de santé plus efficace, plus équitable et soutenable dans la durée. « C’est d’abord si les personnes sont moins malades et mieux prises en charge que le système fera des économies », rappelle Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de la Cnam, qui entend favoriser le développement des outils numériques pour gagner en qualité, en efficience et en personnalisation, notamment dans le champ stratégique de la prévention. « Une action concertée avec les assurances complémentaires, les entreprises, le milieu scolaire, les élus locaux, les professionnels de santé et les citoyens sera indispensable pour relever le défi de la décennie », insiste-t-elle. Autre chantier de fond : l’Assurance Maladie plaide pour une réforme du régime des ALD, dont les bénéficiaires pourraient représenter plus du quart des assurés et les trois quarts des remboursements versés en 2035. Outre une gestion plus dynamique des entrées et des sorties dans le dispositif, la Cnam suggère de réduire le taux de couverture des prestations et des produits les moins efficaces ou sans lien avéré avec les affections de longue durée, comme les cures thermales. Un chiffre clé illustre la nature des enjeux : 43 % de la population pourrait souffrir d’une pathologie chronique dans dix ans.
Le médicament sous pression
Comme souvent, des efforts importants seront demandés aux laboratoires pharmaceutiques. La raison ? « Le médicament affiche une croissance incompatible avec la soutenabilité du système de santé », écrit la Cnam, non sans pointer la « hausse démesurée » des coûts liés aux ASMR IV et V*. La Caisse nationale préconise, entre autres solutions, des baisses de prix pour garantir « une hiérarchie des tarifs cohérente avec le progrès thérapeutique ». Dans le scénario imaginé, les produits concernés devraient subir une décote par rapport au prix net du comparateur le moins cher pour rentrer dans le panier de soins remboursés. Elle serait, au minimum, de 20 % pour les ASMR V sous brevet. Dans ces deux catégories, les prix nets seraient alignés sur les prix faciaux pour atténuer un « écart grandissant » et limiter les impacts des remises conventionnelles sur les finances publiques**. « Près de la moitié des produits en oncologie sont inscrits au remboursement sans démonstration d’un gain sur la survie globale ou la survie sans progression », dit aussi l’Assurance Maladie, qui fournit trois pistes concrètes pour optimiser la dépense : revoir la politique de « tarifs excessifs », réinterroger le remboursement de certains anticancéreux ne présentant aucun résultat concluant dans le cadre de leurs essais cliniques et exiger des données probantes pour les nouvelles inscriptions***. La Cnam souhaite, par ailleurs, lancer un large programme de financement des études de désescalade thérapeutique, notamment en oncologie, auquel les industriels du médicament contribueraient. Un mécanisme qui apporterait des « économies immédiates et démultipliées sur le long terme ». Toutes mesures confondues, la pertinence de la tarification des produits de santé pourrait rapporter 1,2 milliard d’euros en 2026.
Jonathan Icart
(*) Selon la Cnam, le coût par patient des ASMR IV a bondi de 55 % sur la période 2017-2024. Cette catégorie de produits représentait une dépense de 5,4 milliards d’euros en 2024 ; les ASMR V ont connu une évolution plus mesurée passant de 5,3 à 6,1 milliards d’euros, soit une hausse de 15,1 %.
(**) Selon la Cnam, le montant des remises conventionnelles a augmenté de 7,5 milliards d’euros en sept ans pour atteindre 9,06 milliards en 2024.
(***) Selon la Cnam, 45 % des anticancéreux remboursés entre 2016 et 2023 n’apportaient pas de preuves d’efficacité ; le coût par année de vie gagnée, par rapport au comparateur, était de 94 240 euros pour les produits évalués entre 2016 et 2017, contre 304 343 euros pour ceux évalués entre 2022 et 2023.
Assurance Maladie : gain attendu en 2026
Pertinence de la tarification des produits de santé : 1 200 M€
Amélioration de l’efficience et de la pertinence des soins : 800 M€
Stabilisation de la prise en charge par l’AMO à 80 % : 600 M€
Régulation des « rentes » sectorielles (imagerie, anatomopathologie, biologie, dialyse, radiothérapie, médecine nucléaire, audioprothèse) : 400 M€
Lutte contre les fraudes : 400 M€
Indemnités journalières : 300 M€
Organisation et parcours de soins à l’hôpital : 200 M€
Total : 3 900 M€
NB : le rapport « Charges et produits 2026 » doit être définitivement validé aujourd’hui par le Conseil de la Cnam. Il a pour vocation d‘éclairer la décision des pouvoirs publics dans le cadre des discussions sur le PLFSS 2026.