Politique industrielle : la ligne de crête
Signe du temps, la reconquête industrielle est devenue une priorité politique. Dans un périmètre budgétaire contraint, le défi consistera à développer, industrialiser et diffuser les thérapies innovantes, sans négliger les produits matures. L’Etat devra choisir ses combats.
La France deviendra-t-elle la première nation européenne innovante et souveraine en santé ? Nourries par des plans de relance et soutenues par différentes stratégies d’accélération, les ambitions présidentielles sont clairement affichées : stimuler la recherche, redynamiser la production et fluidifier l’accès à l’innovation. La ligne de crête sera particulièrement étroite. Dans un contexte budgétaire contraint, le défi consistera à développer et industrialiser les thérapies innovantes, sans négliger les produits matures. Placée sous la tutelle de Matignon, une agence interministérielle sera notamment chargée du suivi des mesures du volet santé de France 2030. Elle devra surtout identifier, prioriser et soutenir les projets les plus porteurs. « Nous voulons simplifier et accélérer la diffusion de l’innovation en agissant sur toutes ses composantes, mais aussi aiguiller les démarches des innovateurs. La co-construction sera le moteur de notre action », explique Lise Alter, directrice générale de l’AIS, qui exercera trois grandes missions : animer les travaux de prospective en santé, proposer un accompagnement personnalisé et lever des freins systémiques, en particulier sur le plan règlementaire. Trait d’union entre les acteurs publics et privés, l’agence s’impliquera notamment dans le champ stratégique de la recherche clinique, en proposant des innovations méthodologiques pour favoriser la réalisation des essais et faciliter l’inclusion des patients sur le territoire français.
Des attentes fortes
Les problématiques ne sont pas nouvelles. Les arguments non plus. Lancée fin janvier par Elisabeth Borne, la mission interministérielle sur les produits de santé suscite de nombreuses attentes. « Les pouvoirs publics doivent considérer la santé comme un investissement et non plus comme un coût. Le cadre de la régulation sectorielle doit être rapidement repensé pour réduire les pertes de chance », affirme Stéphane Lassignardie, président-directeur général d’AbbVie France. Au-delà du constat, il avance trois pistes concrètes pour mieux intégrer l’innovation : corréler les financements avec les besoins médicaux, déployer une vision pluriannuelle des dépenses et libérer de nouvelles marges de manœuvre financières, en réinvestissant notamment les bénéfices directement et indirectement générés par les traitements innovants. Dans un univers aussi concurrentiel, les aspects tarifaires et règlementaires seront des paramètres déterminants. Directeur général des activités santé du fonds Eurazeo, Arnaud Vincent pointe deux handicaps majeurs, à commencer par les prix français des médicaments, parmi les plus bas en Europe. Il évoque également la mise en place du règlement européen sur les dispositifs médicaux qui, malgré son caractère indispensable, mobilise des ressources importantes au détriment de certains projets innovants, notamment dans les petites entreprises. « Rien ne sera possible sans une meilleure valorisation de l’innovation, ni une réduction significative des délais d’accès au marché », insiste Stéphane Lassignardie.
Structurer la chaîne de valeur
Multifactorielle, l’innovation aura fatalement une dimension industrielle. Animateur de la filière dans les territoires, Polepharma se positionne sur le continuum allant du développement à la distribution, en passant par la production. « La structuration de la chaîne de valeur sera un levier décisif pour rénover efficacement et durablement les capacités industrielles françaises. Plusieurs actions concrètes ont été menées pour appuyer les transitions numériques, environnementales et professionnelles, notamment en matière de formation et de recrutement », souligne Fabien Riolet, son directeur général. Résolument tourné vers la bioproduction, le cluster ne se détourne pas pour autant des médicaments matures. Ici aussi, des évolutions règlementaires et tarifaires seront indispensables pour réindustrialiser des molécules et des principes actifs critiques, ne serait-ce que pour garantir la souveraineté de la Nation. Chantre du « Made in France », il clarifie sa position : « Le lieu de production devra être davantage pris en compte dans les mécanismes de fixation et de révision des prix. Il n’est pas illégitime d’avoir une préférence pour ceux qui apportent une valeur économique et sociétale au pays », estime Fabien Riolet. Autorisé par la législation et facilité par la définition récente d’une nouvelle doctrine, ce dispositif conventionnel devra être utilisé de manière plus volontariste par les pouvoirs publics. Faute de moyens suffisants pour garantir son autonomie, l’Etat français devra néanmoins choisir ses combats et penser son indépendance à l’échelle européenne.
Jonathan Icart
NB : ces propos ont été recueillis durant la première table ronde des Assises de l’Avenir, organisées par Pharmaceutiques et Asterès le 20 mars dernier.