La myopie : un défi mondial
La web-émission organisée par Pharmaceutiques a présenté un état des lieux sur la myopie, ses enjeux de santé publique, les méthodes de prévention, de dépistage et de traitement, ainsi que les innovations médicales et technologiques associées. Les intervenants ont insisté sur l’importance d’une prise en charge précoce et coordonnée de l’enfance à l’âge adulte.
La myopie – affection oculaire caractérisée par un globe oculaire trop long, provoquant une image floue – touchera plus de 50 % de la population mondiale en 2050. « Les complications associées à la myopie forte incluent une perte de qualité de vie chez l’enfant, des limitations sportives, une stigmatisation, mais également des risques accrus de rétinopathies, cataractes précoces et glaucomes par la suite, pouvant mener jusqu’à la cécité, décrit Dominique Bremond-Gignac, cheffe du service d’ophtalmologie à l’Hôpital Necker Enfants malades (AP-HP), en ouverture de la première table-ronde de la web-émission de Pharmaceutiques dédiée à la santé visuelle (1). Il est donc crucial de prévenir et de freiner sa progression, notamment chez l’enfant en pleine croissance. » La myopie est un phénomène particulièrement marqué en Asie où la prévalence peut atteindre 90 %. « C’est un problème fort en Asie et un handicap majeur, renchérit Sam Rafla, directeur général de Santen France, un groupe spécialisé depuis plus de 100 ans dans la santé oculaire et présent dans 60 pays. Un facteur aggravant de la myopie chez l’enfant est le temps passé à l’intérieur et devant les écrans », précise-t-il. La prévention repose sur des recommandations simples telles que passer plus de temps à l’extérieur, limiter l’exposition aux écrans et se coucher tôt.
Prévention et diagnostic anticipé
« Un dépistage visuel précoce, notamment dans les écoles françaises, est assuré par des orthoptistes et ophtalmologistes avec l’association Le Cadet et permet une intervention rapide pour mieux contrôler la myopie », reprend la Pr Bremond-Gignac, qui en préside le conseil d’administration. « La myopie non corrigée impacte non seulement la santé oculaire, mais aussi le bien-être psychologique et social de l’enfant ainsi que ses apprentissages, prévient Sam Rafla. Investir sur la vue c’est miser sur l’avenir ». Cependant, les recommandations d’un suivi annuel régulier pour détecter les évolutions rapides sont difficiles à tenir dans l’agenda des familles et en raison de la pénurie d’ophtalmologistes. « Il reste un travail règlementaire à faire pour autoriser les opticiens à aller au plus près de la population, dans les écoles notamment pour informer les enseignants et les parents sur le port des lunettes, mais également dans les Ehpad, indique Jean-François Porte, président du Rassemblement des Opticiens de France (ROF) et co-président du Conseil Interprofessionnel de l’Optique. Les opticiens jouent déjà un rôle clé dans le dépistage et la correction (choix de la monture et de la pose des verres), étant souvent la porte d’entrée sur la vue, en province surtout. Nous participons également à l’information des familles, au suivi régulier des enfants myopes et à l’orientation vers les professionnels. » Les intervenants insistent sur la nécessaire structuration en filière des ophtalmologistes, orthoptistes et opticiens (3O).
Innovations thérapeutiques et technologies de freinage
L’arsenal thérapeutique contre la myopie inclut l’orthokératologie (lentilles portées la nuit pour remodeler temporairement la cornée) et deux grandes gammes de verres de freination (2). L’offre thérapeutique comprend aussi les collyres d’atropine pour ralentir la croissance du globe oculaire. Santen a obtenu début juin 2025 l’AMM européenne de son produit contre la myopie progressive des enfants de 3-14 ans. « Bientôt disponible en officine de ville, ce traitement viendra compléter l’offre existante », se félicite Sam Rafla. « L’atropine devrait rapidement être remboursée, facilitant son accès », anticipe la professeure Bremond-Gignac, relevant ainsi le rôle des pouvoirs publics. La lumière rouge est également une piste émergente pour le traitement de la myopie avec une étude européenne en cours.
Directrice médicale de l’Institut Français de Myopie, Elise Philippakis rappelle la triple vocation de ce dernier de prévention et de prise en charge médicale des enfants et des adultes, ainsi que de recherche. « Adossé à la Fondation Adolphe de Rothschild, l’institut suit des cohortes importantes qui permettent de connaitre l’état de la situation en France et la prévalence des complications, et travaille à apporter des réponses thérapeutiques plus précises avec une stratification des patients », poursuit-elle. Le projet MYOCO 1000, intégré dans l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) ForeSight, vise à constituer une cohorte de 1 000 enfants et adultes myopes forts pour un suivi de 10 ans. L’objectif est de mieux comprendre l’évolution de la maladie grâce à l’imagerie multimodale et identifier des biomarqueurs. Par ailleurs, « le projet PREMYOM (3) vise à la création de jumeau numérique de l’œil myope sur trois cohortes (enfants myopes ; pré-myopes ; et jeunes de 18-25 ans), permettra de mesurer l’impact des traitements et de personnaliser les moyens thérapeutiques », détaille Elise Philippakis.
Des enjeux de santé visuelle à tous les âges
La séquence « Regards croisés » de l’émission de Pharmaceutiques a permis de rappeler l’importance de traiter d’autres pathologies de la vue, à tous les âges de la vie. Tatiana Randriambalohery, directrice des Affaires médicales de J&J Vision, indique que le groupe a cocréé l’association Sight For Kids avec la Fondation internationale des Lions Clubs en 2002. Il s’agit d’un programme mondial de santé oculaire en milieu scolaire qui facilite l’accès à l’éducation à la santé visuelle, aux dépistages, aux lunettes et à l’orientation vers des professionnels. À ce jour, plus de 37 millions d’enfants dans le monde en ont bénéficié. J&J Vision soutient également la campagne française de sensibilisation et de dépistage « Ensemble contre la myopie« . Au-delà, d’autres maladies visuelles infantiles, comme le strabisme, préoccupent. « Celle-ci peut entraîner une amblyopie qui doit être prise en charge précocement pour être traitée efficacement », rappelle Dominique Bremond-Gignac. Romain Nicolau, chirurgien ophtalmologiste à Paris, appelle à la coordination d’un parcours de soins pédiatriques avec un calendrier d’examens obligatoires pour mieux accompagner les familles, notamment lors des consultations en ville.
« La vigilance doit rester de mise chez les 20-50 ans pour lesquels on observe une phase de relâchement de la santé visuelle », poursuit Tatiana Randriambalohery. L’AsnaV, Association pour l’amélioration de la Vue, sensibilise à la prise en charge et la prévention de la santé visuelle et à son impact sur l’autonomie, l’épanouissement social et professionnel. « Le suivi est primordial sur cette tranche d’âge, confirme le Dr Nicolau. Grâce aux photos du fond de l’œil notamment, il est possible de détecter des pathologies systémiques. » Avec le vieillissement de la population, les problèmes visuels liés à l’âge (presbytie, cataracte, dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), glaucome) sont en augmentation. « La recherche porte ses fruits, constate la dirigeante de J&J, avec des solutions de correction (lunettes progressives ou lentilles de contact multifocales), des implants et un arsenal chirurgical important ». Dominique Bremond-Gignac témoigne également du développement des thérapies géniques pour certaines maladies rares, notamment la dystrophie rétinienne, dans le centre de référence Maladies rares OPHTARA labellisé en 2006. Du côté des innovations, Romain Nicolau conclut les échanges sur l’IA, utilisée dans des calculs très précis pour réaliser une opération chez un patient atteint de cataracte sur une cornée déjà remaniée. Une offre qui continue de s’enrichir avec les progrès de la recherche.
Juliette Badina
(1) Emission organisée le 2 décembre avec le soutien institutionnel de J&J Vision, Santen, OdySight® by Tilak et l’Association France Glaucome
(2) Technologie « nid d’abeille » utilisée dans le verre MiYOSMART, le premier à avoir reçu un avis favorable de la HAS en mars 2022 ouvrant la voie au remboursement, ou la technologie des microlentilles adoptées par les verres Stellest
(3) Projet lauréat de France 2030 impliquant EssilorLuxottica et d’autres partenaires industriels en consortium avec l’Institut Fondation Rothschild, l’Institut de la Vision et l’Institut Mines-Télécom
