Thérapies géniques : de nouvelles pistes contre les maladies cécitantes
La thérapie génique figure parmi les outils les plus prometteurs pour lutter contre certaines maladies entraînant une altération progressive de la vision jusqu’à la cécité. Peu de projets ont atteint un stade très avancé mais malgré les difficultés, les chercheurs académiques et les start-ups restent extrêmement motivés à trouver des solutions, comme l’ont illustré les experts invités par Pharmaceutiques.
La thérapie génique a de longue date choisi l’œil comme terrain d’expérimentation privilégié. « Cette approche est tout à fait appropriée pour le traitement des pathologies oculaires, énonce Serge Picaud, directeur de l’Institut de la Vision, en ouverture de la deuxième table ronde de la web-conférence « santé visuelle » organisée par Pharmaceutiques le 2 décembre dernier (1). L’œil est une toute petite structure où les cellules rétiniennes peuvent être visualisées et les photorécepteurs (cônes et bâtonnets) comptabilisés. L’organe est bien adapté pour des injections, sans risque de toxicité systémique. »
Malgré ces avantages, à ce jour, une seule thérapie génique a obtenu une AMM en ophtalmologie, dans des maladies rétiniennes héréditaires caractérisées par une mutation génétique précise. Un autre candidat, issu des travaux de l’Institut de la Vision et développé par la société Gensight dans la neuropathie optique héréditaire de Leber, doit encore faire l’objet d’un nouvel essai clinique, mais les patients français peuvent en bénéficier via un accès compassionnel.
« Ces dernières années les investisseurs se sont désintéressés de la thérapie génique de remplacement, une approche très coûteuse avec des marchés cibles assez restreints », observe Denis Cayet, fondateur et président de la Fondation Stargardt et CEO de la société Variant. Une autre approche commence à émerger, plus attractive selon lui pour les investisseurs : celle des thérapies géniques dites « polyvalentes ». « Non liées à une mutation spécifique, elles permettent de traiter plusieurs indications et donc d’adresser un marché plus large, expose le dirigeant. Et nous ne sommes que trois sociétés dans le monde à avoir ce type de modèle ! »
Préserver ou restaurer la vision
Le plateau de Pharmaceutiques a réuni deux de ces acteurs (2). Sparing Vision, spin-off de l’Institut de la Vision, a opté pour cette stratégie dans le traitement de la rétinopathie pigmentaire. Dans cette pathologie, les deux types de cellules photoréceptrices, les bâtonnets puis les cônes sont dégradés successivement. Le candidat le plus avancé de la société agit sur le métabolisme des cônes (responsables de la vision centrale) pour les préserver. « Et nous espérons pouvoir traiter la forme sèche de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) avec le même produit », anticipe Nathalie Delair-Trepo, vice-présidente en charge des relations investisseurs et de la communication de Sparing Vision. Cette première thérapie génique est actuellement en phase II de développement clinique, en France et aux Etats-Unis.
Le deuxième candidat du pipeline de Sparing Vision, entré en clinique cette année en Belgique (l’essai devant également être conduit en France et en Irlande), est issu du rachat de Gamut, autre spin-off de l’Institut de la Vision. Lui aussi vise la rétinopathie et d’autres pathologies, mais à un stade plus avancé. « L’objectif est cette fois de restaurer la vision, en permettant à des cônes « dormants » de transmettre le signal lumineux », précise Nathalie Delair-Trepo. Le financement des deux essais en cours, dont les résultats sont attendus en 2027, est assuré grâce au soutien d’investisseurs internationaux. Au-delà, la conduite du programme de phase III nécessitera de nouveaux fonds ou un partenariat.
Agir en amont sur les facteurs de transcription
La société Variant cible pour sa part les rétinopathies liées à des mutations du facteur de transcription CRX, qui intervient dans la formation des cônes et des bâtonnets. Elle s’appuie sur les travaux du CERTO, centre de recherche en ophtalmologie de l’association Retina France. « La thérapie génique que nous développons apporte le gène CRX directement aux cellules rétiniennes, pour aider à la re-différenciation des photorécepteurs et à leur neuroprotection. Cette stratégie nous permettra également d’adresser plusieurs pathologies à différents stades », expose Denis Cayet.
Le candidat le plus avancé de Variant est encore en phase préclinique réglementaire : « Nous conduirons une étude de toxicologie en 2026, et nous préparons un essai clinique à l’hôpital universitaire de Naples Luigi Vanvitelli, qui assurera son financement. » Un autre essai est également prévu à l’hôpital Necker à Paris, en collaboration avec l’Institut Imagine, dans une autre rétinopathie, l’amaurose congénitale de Leber, liée à la mutation du gène CEP290. Jusqu’à présent financée par ses actionnaires, Variant mène actuellement son premier tour d’amorçage, et prévoit déjà une levée de fonds plus conséquente en 2026 pour soutenir la future étude clinique française.
De nouvelles approches à développer
D’autres approches commencent à émerger, « qui donnent beaucoup d’espoirs », ajoute Serge Picaud. L’Institut de la Vision collabore avec la société WhiteLab Genomics pour tenter de constituer, grâce à l’intelligence artificielle, « une panoplie de vecteurs viraux possédant différentes propriétés en fonction des cellules ciblées », et qui permettraient, par exemple, une injection par voie intra-vitréenne plutôt que sous-rétinienne. En parallèle, l’institut explore aussi des stratégies vectorielles non virales (vésicules lipidiques, ou même ADN nu) et s’intéresse à l’édition du génome.
« Donnons toutes ses chances au travail de recherche, car c’est de là que naissent les nouveaux projets », plaide Denis Cayet. Le dirigeant rêve de pouvoir développer son produit « dans le contexte économique français, où malgré ce qui se dit, on est déjà très aidé. Mais il faudrait pouvoir raccourcir les délais d’accès au marché, en particulier dans les maladies rares ». « On peut être heureux de voir que l’investissement dans la recherche publique académique produit du développement économique », renchérit Serge Picaud. Pour faciliter ce développement, il propose la mise en place d’un processus accéléré pour les nouvelles thérapies géniques qui utiliseraient la même plate-forme technologique qu’un traitement déjà validé, mais avec un gène différent. « Il y a une vraie place pour la thérapie génique française et même, pourquoi pas, pour une production en France », conclut Nathalie Delair-Trepo.
Julie Wierzbicki
(1) Web-conférence organisée avec le soutien institutionnel de J&J Vision, Santen, OdySight® by Tilak et l’association France Glaucome
(2) Le troisième est la société américaine Ocugen.
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L’innovation en ophtalmologie : un impact sociétal
Les innovations en ophtalmologie impactent la vie des patients au-delà des seuls critères médicaux, comme l’ont illustré les intervenantes de la dernière table ronde de la web-conférence de Pharmaceutiques.
Le glaucome, qui touche plus d’1,5 million de personnes en France, est un cas d’école. Cette pathologie se traduit par une dégénérescence du nerf optique qui entraîne un rétrécissement du champ visuel et peut aller jusqu’à la cécité. Longtemps asymptomatique, elle nécessite un examen de dépistage régulier pour ne pas être diagnostiquée trop tardivement, avec des séquelles irréversibles si elle n’est pas traitée à temps. Le traitement de première intention repose sur des collyres destinés à diminuer la pression intra-oculaire pour stabiliser l’évolution de la maladie.

Si nombre d’entre eux sont aujourd’hui formulés sans conservateurs, certains collyres en contiennent encore, « entraînant des effets indésirables très délétères pour la surface oculaire (irritations, allergies…), avec un fort impact sur la qualité de vie », témoigne Josée Gaillard, présidente de l’association France Glaucome. Par ailleurs, ces traitements (avec ou sans conservateurs) requièrent une observance très stricte sur une très longue période, du diagnostic à la fin de vie, avec la prise de plusieurs doses par jour à heure fixe – du fait d’une durée d’efficacité limitée de la molécule. « Près de 40 % des patients sont non-observants ! rapporte Josée Gaillard. Il existe aujourd’hui des combinaisons fixes qui permettent de réduire le nombre d’administrations journalières. Mais il n’existe pas encore de thérapies à longue durée d’action. »
Prouver le bénéfice de la prévention et du suivi

« Les maladies ophtalmiques entraînent surtout des morbidités : elles impactent l’autonomie des patients, mais l’on n’en meurt pas, constate Anne-Aurélie Epis de Fleurian, directrice scientifique de la société Tilak Healthcare. Cela influence la propension à payer des pouvoirs publics vis-à-vis des thérapies, mais aussi des actions de prévention et de surveillance. Or si on ne prend pas collectivement le virage de la prévention, on ne parviendra pas à régler les problèmes de soutenabilité du système de santé. ». Elle cite par exemple les traitements de freination de la myopie chez l’enfant et l’accompagnement des jeunes patients dans l’utilisation de ces traitements, pour empêcher l’évolution vers une myopie sévère qui génèrerait de nouvelles complications (dont le glaucome).
Convaincre les pouvoirs publics de s’intéresser davantage à ces pathologies et au handicap qu’elles génèrent demeure complexe. « La première étape est d’en parler, mais il faut surtout apporter des preuves scientifiques que prévenir le handicap a un impact non seulement sociétal mais aussi économique. Cela prend du temps, et nécessite de travailler sur des méthodologies qui soient reconnues par les différentes parties. » Tilak Healthcare propose une solution de télésurveillance dans la DMLA, OdySight®. « Pour étendre ce type de solution à d’autres champs, nous avons besoin d’outils de mesure cliniquement validés pour la pathologie concernée, et d’une place dans la stratégie thérapeutique. Nous devons y travailler avec les professionnels et les associations de patients ».




