Climat, biodiversité et santé : décarboner les parcours
Hôpitaux, entreprises, politiques : tous les acteurs s’emparent aujourd’hui du sujet de la décarbonation du système de santé. Avec comme premier défi de s’entendre sur la façon de mesurer les impacts des activités internes et externes, un prérequis nécessaire avant d’engager des solutions collectives.
En 20 ans, les décès causés par les formes modernes de pollution ont augmenté de 66 %. « La pollution est la première cause de décès dans le monde, devant le tabagisme et la malnutrition », rappelle, citant une vaste étude parue dans The Lancet l’an dernier, le Dr Pierre Souvet, cardiologue et président de l’Association santé environnement France, en ouverture du colloque « Santé et environnement » organisé par Pharmaceutiques et Be-concerned (1) le 7 juin à Paris. De la persistance des perturbateurs endocriniens dans l’organisme humain comme dans l’environnement, à la présence en excès de cancérigènes de type cadmium dans les céréales pour enfants ou même d’arsenic dans l’eau minérale naturelle, tout concourt à rendre insuffisants les efforts individuels – même si ceux-ci sont bien entendu essentiels – pour se prémunir de ses effets délétères. « Les entreprises et les collectivités sont des acteurs majeurs », insiste le médecin, plaidant pour l’intégration d’une approche « One Health » dans toutes les politiques publiques.
Sensibiliser pour changer les pratiques
Consultante en santé publique et membre du groupe de travail en santé du think tank The Shift Project, Marie Kernec se réjouit d’une « accélération » autour de la question de la décarbonation du secteur de la santé, qui représente 8 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en France. Le rapport du Shift Project, « Décarboner la santé pour soigner durablement », paru fin 2021 et tout récemment mis à jour, réclamait comme première mesure « une politique nationale… et celle-ci commence à arriver. » Présenté en octobre 2022, le plan gouvernemental « France nation verte » a été suivi de la publication en mai dernier de la feuille de route interministérielle « Planification écologique du système de santé » et de l’installation d’un comité de pilotage dédié.
« Aujourd’hui les établissements de santé et les sociétés savantes s’emparent du sujet, il y a une vraie émulation et la demande est forte », constate Marie Kernec. « Nous suivons les recommandations de Shift Project… que nous avions déjà anticipées », déclare Matthias Didier, directeur de projets développement durable de l’AP-HP. Mais pour étudier l’impact en termes d’émission de GES d’une centaine de médicaments les plus consommés au sein des groupes hospitaliers franciliens, encore fallait-il disposer d’une méthode et d’outils de mesure spécifiques, que l’AP-HP s’est attaché à élaborer et qu’il met à disposition d’autres hôpitaux. « Nous avons également entamé un travail sur le parcours patient, avec l’idée d’ouvrir aux autres professions ces outils de sensibilisation, pour inciter à un changement de pratiques. »
Pour le Dr Clémentine Nordon, psychiatre, épidémiologiste et membre du collectif Citoyens pour le climat, les actions de sensibilisation, y compris en milieu scolaire, « sont un prérequis pour initier des changements de comportement individuels… et les accepter ».
Elaborer des outils communs
Dans l’industrie pharmaceutique, « ce sujet n’est pas encore très mature, mais chez Sanofi nous nous y intéressons depuis plusieurs années », assure Priscille de la Tour, responsable de programmes environnement et santé du n°1 de la pharma française. Le laboratoire a pris le parti d’une approche holistique, s’intéressant à la fois à l’impact de ses activités en interne mais aussi au système de santé dans son ensemble. « Si 50 % des émissions de GES viennent des chaînes d’approvisionnement, 45 % sont dues au parcours de soins. » Sanofi s’est associé à une initiative mondiale regroupant 74 pays, dont la France, qui se sont engagés à réduire les émissions de leurs systèmes de santé. « Notre but est de créer un outil d’évaluation des émissions au cours du parcours du soins et d’amener une harmonisation sur ces sujets, aussi bien sur les outils de mesure que les actions à mettre en place. » Elle cite ainsi la vaccination antigrippale comme un véritable levier de réduction des émissions, via la dimintion des hospitalisations.
« Nous avons absolument besoin de créer des indicateurs communs, approuve Clémentine Nordon. Mais la première priorité doit toujours demeurer d’assurer au patient la meilleure prise en charge possible ». Attention à ne pas, en se concentrant sur les initiatives locales, oublier le principal facteur d’émission des GES, désigné sous le terme « scope 3 » par le Shift Project, regroupant notamment les achats et transports. « C’est en effet la prochaine étape, et nous travaillons en ce moment avec les fédérations industrielles, les acteurs de terrain et d’autres parties prenantes, pour nous mettre d’accord sur un outil d’évaluation à la fois suffisamment simple et robuste, prenant en compte ce scope 3, indique Marie Kernec. Mais parvenir à ce consensus prendra du temps. » Et si la collaboration et l’intelligence collective étaient les premiers leviers de la décarbonation ?
Julie Wierzbicki
(1) Colloque organisé avec le soutien de Sanofi, Janssen et Chiesi, en partenariat institutionnel avec l’Association santé environnement France, Citoyens pour le Climat, Coopération santé, la Société francophone de santé et environnement, la Fondation du souffle, Polepharma et Santé respiratoire France