Ophtalmologie : faire place aux innovations !
Les thérapies géniques pourraient permettre de guérir des troubles oculaires rares ou sévères. Recherche, évaluation, valorisation… Plusieurs freins critiques devront néanmoins être levés pour concrétiser la promesse scientifique.
Il est possible de restaurer la vision. La thèse est alimentée par des travaux scientifiques poussés et appuyée par un traitement expérimental… en cours de validation. Première mondiale, cette thérapie génique contre la neuropathie optique héréditaire de Leber a été développée par GenSight Biologics, en partenariat avec l’Institut de la Vision et l’Hôpital des XV-XX. Toujours en phase clinique avancée, elle a démontré des bénéfices intéressants chez certains participants, victimes de cette maladie génétique rare de la rétine. « Perdre brutalement la vue est une expérience traumatisante, tant sur le plan personnel que professionnel, qui bouleverse radicalement et altère profondément le quotidien. Malgré les incertitudes, ce protocole était une évidence et une chance. Les résultats ont dépassé mes espérances. Mon acuité visuelle est lentement remontée. Mon autonomie et ma confiance en moi aussi. Je n’ai pas recouvré toutes mes capacités, bien sûr, mais je n’ai pas rechuté », témoigne Julien Secheyron, senior manager en charge de la performance et de l’amélioration continue chez Adjuvoo, qui a reçu une injection unique il y a huit ans. Cette situation encourageante devra néanmoins se vérifier dans le temps.
Des axes de recherche prioritaires
Selon les experts réunis par Pharmaceutiques, l’œil serait un « organe modèle » pour la mise au point de traitements innovants et curatifs. « Il est petit, simple et accessible. Il est également positionné dans un univers fermé, limitant de fait la toxicité du produit injecté. Il contient relativement peu de cellules qui peuvent donc être plus facilement et plus rapidement remplacées », explique Serge Picaud, directeur de l’Institut de la Vision et directeur scientifique de la Fondation Voir et Entendre. Chirurgie, pharmacologie ou biotechnologie… Les champs d’application sont nombreux et les perspectives amplifiées par le progrès technologique, IA et big data en tête. Trois priorités sont clairement fixées : mieux prévenir les pathologies oculaires, trouver des anti-douleurs efficaces et développer des thérapies réparatrices plus ciblées. De nouvelles approches fondées sur l’optogénétique ou la sonogénétique pourraient notamment y contribuer. De nombreux freins devront toutefois être levés pour concrétiser la promesse. « Le premier défi sera de renforcer les partenariats de recherche entre les structures publiques et privées pour passer de la preuve de concept à l’industrialisation dans une logique d’open innovation », affirme Sylvain Bouton, directeur général de Théa Pharma France.
Deux évolutions indispensables
Le constat est largement partagé : le logiciel institutionnel devra être reconfiguré pour accompagner cette évolution structurelle. « Les modèles existants ne sont pas calibrés pour évaluer des thérapies géniques. Aucune méthodologie ne permet actuellement de mesurer leur efficacité, ni leurs effets réels qui ne seront pas perceptibles avant dix, vingt ou trente ans. Certains critères secondaires, comme la prévention ou la qualité de vie, devront aussi être pris en compte par les évaluateurs », considère Sylvain Bouton. Autre enjeu majeur : comment valoriser ces produits innovants, aux ambitions curatives affichées, sans menacer la soutenabilité du système de santé ? « Ils sont plus chers, mais ils sont également plus efficients. Le coût médical direct pour une personne non-voyante se chiffre en dizaines de milliers d’euros par an. Le calcul est assez simple. Il faut impérativement payer ces innovations de rupture qui serviront les intérêts des patients concernés et ceux de la collectivité dans son ensemble », répond Bernard Gilly, directeur général et co-fondateur de GenSight Biologics, dont le prix de la thérapie génique atteint 700 000 euros pour une injection unique.
Jonathan Icart
NB : ces propos ont été recueillis durant la troisième table ronde du colloque sur la santé visuelle, organisé par Pharmaceutiques le 19 septembre dernier.