Alzheimer : l’urgence d’une prise en charge plus précoce
Alors que de premiers traitements modifiant le cours de la maladie d’Alzheimer ont récemment été autorisés aux Etats-Unis, la France doit se préparer à relever le défi d’un dépistage plus précoce des personnes touchées. Même si l’incidence tend à diminuer, l’optimisation des parcours et l’amélioration de la qualité de vie demeurent plus que jamais des enjeux majeurs.
« La maladie d’Alzheimer est la première cause de perte d’autonomie du sujet âgé, et la moitié des pensionnaires en Ephad en souffre, pose d’emblée le professeur Julien Dumurgier, neurologue et chercheur au Centre de Neurologie Cognitive de l’Hôpital Lariboisière (AP-HP). C’est une maladie neurodégénérative grave et fréquente, en croissance exponentielle avec l’âge, touchant 5 % des personnes après 65 ans et 20 à 25 % des 80-85 ans. » En 2023, deux anticorps ont montré une efficacité en phase III : le lecanemab de Biogen et Eisai, et le donanemab de Lilly. « Avec Eisai, nous sommes les premiers laboratoires à faire approuver un traitement qui change l’évolution de la maladie sur les dernières années aux Etats-Unis », se félicite Marina Vasiliou, pdg de Biogen France. « Ce sont de véritables sources d’espoir, confirme Julien Dumurgier. C’est la première fois que nous observons une différence d’évolution à 18 mois dans une étude internationale ! Toutefois, de par leur mécanisme, ces traitements nécessitent une administration le plus tôt possible », prévient le neurologue. Marina Vasiliou constate qu’aujourd’hui le diagnostic se fait à un stade trop avancé de la maladie. « Il faudrait pouvoir intervenir 10 à 15 ans plus tôt », complète la dirigeante. En effet, bien avant que les symptômes n’apparaissent, le corps est déjà exposé à une accumulation des protéines bêta-amyloïdes et Tau – dont le rôle dans l’évolution de la maladie est mieux compris aujourd’hui. « Les progrès diagnostics des 10 dernières années, avec l’identification de biomarqueurs détectables par ponction lombaire ou par imagerie via des radio-ligands se fixant à ces protéines, ouvrent la porte à un dépistage plus précoce », poursuit le professeur. Des marqueurs plasmatiques sont en cours de développement, et devraient également arriver d’ici 10 ans.
Réorganiser le parcours de soins
« Il faut identifier les patients de façon plus précoce et augmenter la possibilité de prise en charge », recommande Marina Vasiliou. Avec le plan Alzheimer, un maillage de 400 centres Mémoire a été mis en place, « c’est assez unique au monde, et permet une prise en charge holistique, constate-t-elle. Mais il est nécessaire d’augmenter les moyens financiers et humains de ces centres et de travailler sur leur coordination avec la ville. » En France, le coût associé à ces 1,2 million de patients et 2 millions d’aidants atteint 32 milliards d’euros par an. « C’est important de diminuer cet impact financier, notamment par un plan de prévention de la dépendance des personnes âgées, comme le programme ICOPE développé par l’OMS, déployé depuis 2019 avec le Gérontopôle du CHU de Toulouse et expérimenté depuis partout en Occitanie sur plusieurs dizaines de milliers de personnes âgées », ajoute-t-elle.
Au-delà du financement et de la sensibilisation du grand public, l’une des grandes missions de la Fondation Vaincre Alzheimer est l’amélioration de la prise en charge et du diagnostic anticipé en formant les professionnels de santé. Dr Maï Panchal, directrice générale et scientifique de la Fondation, souhaite mettre le médecin généraliste au cœur des pratiques. « Nous soutenons l’outil Memscreen, appli mobile qui leur est destinée pour détecter les premiers troubles cognitifs », indique-t-elle. Julien Dumurgier confirme que le diagnostic et le suivi des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer n’est pas encore suffisamment ancré dans les pratiques médicales. « Memscreen permet en quelques minutes une évaluation des fonctions cognitives globales et de la mémoire épisodique, et l’établissement d’un scoring et du niveau de risque en fonction de l’âge et du niveau d’étude du patient de manière semi-automatique », détaille-t-il, en précisant qu’une grande étude de validation est en cours pour montrer que cet outil est facilement utilisable en soins primaires.
Des interventions non pharmacologiques
La Fondation Vaincre Alzheimer, financée par la générosité du public, investit aussi dans l’information, auprès des médecins et des patients, notamment avec la mise à disposition d’un annuaire national des essais cliniques. « Cela permet de recruter plus rapidement, pour des traitements médicamenteux ou non », indique sa directrice générale.
MaribeI Pino, directrice générale du Broca Living Lab est venue témoigner de son travail auprès des malades d’Alzheimer et proches aidants depuis 15 ans au sein de l’Hôpital gérontologique Broca (AP-HP). « Nous portons une attention particulière aux interventions non pharmacologiques intégrant des technologies : notamment des outils de réalité virtuelle, serious game, programmes psycho-éducatifs en ligne destinés aux aidants, ainsi que des robots avec différents degrés d’interactions sociales, décrit-elle. Nous avons développé un animaloïde, le robot PARO®, un bébé phoque de médiation utilisé en amont des soins, qui a montré dans une étude randomisée un double bénéfice, pour les patients par un apaisement de l’agressivité et de l’anxiété, et pour les équipes soignantes par l’amélioration des conditions de travail. »
Juliette Badina