Maladies rares : quel encadrement des usages hors-AMM ?
Pour la très grande majorité des malades atteints d’une pathologie rare, le recours à des traitements hors-AMM est souvent la seule option. Comment encadrer au mieux cette pratique pour éviter les risques et améliorer les connaissances ? Les participants à la deuxième table ronde de la web-conférence Maladies rares de Pharmaceutiques ont débattu des avancées récentes et des défis, nombreux, qu’il reste à relever.
En France, près de trois millions de personnes sont touchées par une maladie rare – dont 75 % dès l’enfance – avec un pronostic vital engagé dans la moitié des cas… et pour 95 % de ces maladies, il n’existe aucun traitement autorisé. Ces chiffres implacables ont été rappelés par Jean-Philippe Plançon, vice-président de l’Alliance Maladies Rares, en ouverture de la 2e table ronde de la web-conférence organisée par Pharmaceutiques le 8 février dernier (1). Une table-ronde consacrée aux usages de traitements hors-AMM, qui constituent souvent le seul recours pour les malades.
Les Observatoires des traitements, mis en place par chacune des 23 filières maladies rares dans le cadre du troisième plan national (PNMR), ont notamment pour mission d’identifier les prescriptions effectuées au sein des différents centres de soins rattachés aux filières, et de faire remonter ces informations à la DGOS et à l’ANSM. « En regroupant tous ces retours on arrive à des centaines de médicaments utilisés… avec beaucoup de prescriptions hors-AMM », constate Laura Tourvieilhe, pharmacienne en charge de l’observatoire des traitements pour les filières MHEMO (maladies hémorragiques rares) et FAVA-Multi (maladies vasculaires rares à atteintes multisystémiques). Les Observatoires doivent aussi identifier des stratégies favorisant l’accès à ces traitements hors-AMM, via des accès dérogatoires ou des discussions avec l’assurance maladie pour obtenir un remboursement pour les patients concernés. « Nous avons créé un Groupe interfilière des observatoires des traitements (GRIOT) pour nous coordonner et partager des ressources et des retours d’expérience, même si les maladies couvertes par chaque filière ont leurs propres spécificités. »
Un cadre législatif récent
La réglementation française encadrant les prescriptions hors-AMM a connu une importante évolution ces dernières années, suite à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 réformant les accès dérogatoires. Au côté des accès précoces (concernant les médicaments sur le point d’obtenir une AMM, ou l’ayant déjà obtenue et en attente de remboursement de droit commun), la législation a défini des accès compassionnels (AC, nominatifs, pour les médicaments sans AMM en France) et des cadres de prescription compassionnelle (CPC, pour une autre indication que celle(s) couverte(s) par l’AMM).
Concernant les AC, « toutes aires thérapeutiques confondues, 50 000 à 60 000 demandes ont été déposées chaque année depuis l’entrée en vigueur de la loi, un peu plus de 57 000 en 2023 », rapporte Sébastien Bouclé, chef de pôle accès précoces et compassionnels de l’ANSM.
Les CPC, eux, dérivent pour la plupart des précédentes RTU (recommandations temporaires d’utilisation). Les demandes peuvent être soumises aussi bien par centre de référence ou de compétence que par des associations de patients agréées, ou sur demande des tutelles – et l’ANSM peut aussi s’auto-saisir. Depuis la réforme, seuls cinq nouveaux CPC ont été autorisés – dont un seul pour un traitement dans une maladie rare – portant le total à 28 CPC en cours, la moitié portant sur des maladies rares. Une amélioration majeure a été apportée par rapport aux précédentes RTU : « Aujourd’hui l’autorisation d’un CPC vaut automatiquement prise en charge pour le patient, alors qu’auparavant l’avis de l’ANSM devait être suivi d’un arrêté », indique Sébastien Bouclé.
Les filières en première ligne
L’an dernier, il a été demandé aux filières de sélectionner chacune trois usages hors AMM, en vue d’établir un dossier de CPC prioritaire. « Nous avons établi une liste de 91 usages prioritaires : c’est un vrai changement d’échelle par rapport au nombre de CPC en vigueur ou en cours d’évaluation ! », souligne Laura Tourvieilhe, qui s’inquiète d’un manque de ressources pour les filières et du long délai d’examen des dossiers. Notant que la réglementation n’impose pas de délai de rendu des décisions, Sébastien Bouclé souligne la complexité des dossiers, impliquant plusieurs interlocuteurs – éventuellement plusieurs fabricants quand il s’agit de médicaments génériques ou biosimilaires. L’existence de données cliniques robustes et une forte mobilisation des patients peuvent être un facteur d’accélération. « L’objectif est de sécuriser le patient et le prescripteur, dans une approche de consensus, au travers des filières, sur cette utilisation hors-AMM », insiste Sébastien Bouclé.
De plus, un CPC s’accompagne d’un recueil de données de sécurité et d’efficacité, « essentiel car ces données de vie réelle pourront soutenir un futur essai clinique confirmatoire, en vue d’un repositionnement dans l’indication concernée ». Ce recueil de données s’effectue sous la responsabilité du ou des industriels commercialisant le produit. Plusieurs options sont possibles, « mais nous privilégions qu’elles soient collectées dans les registres ou bases de données pré-existantes au sein des centres ou des filières – et que les médecins ont déjà l’habitude d’utiliser. Ou encore dans la Banque de données nationale maladies rares (BNDMR), qui est déjà utilisée pour le suivi des accès précoces », indique Laura Tourvieilhe. « Ce recueil nécessite des moyens, du temps humain et de l’expertise, note Jean-Philippe Plançon. Le rôle des patients dans la collecte des données de qualité de vie est essentiel. Il est nécessaire de s’assurer que les outils soient adaptés à la population évaluée – qui n’est pas sélectionnée comme dans le cadre d’un essai clinique. »
Encore des marges de progrès
Même s’il se réjouit de la perspective de voir ces futurs CPC priorisés, « cela reste très en-deçà des attentes des patients, commente Jean-Philippe Plançon. Il y a clairement des marges d’amélioration : tels qu’ils sont actuellement conçus, les CPC sont-ils vraiment adaptés aux spécificités des maladies rares ? » Seule une minorité de médicaments prescrits hors-AMM présentera un niveau de preuves suffisant pour prétendre à un CPC. « Il n’y a pas d’accès dérogatoire pour combler ce gap, sinon demander individuellement à l’assurance maladie des prises en charge, examinées au cas par cas », explique Laura Tourvieilhe.
Jean-Philippe Plançon s’inquiète également du reste à charge important pour les patients, notamment liés à l’achat de médicaments parfois très courants, tel le magnésium, mais nécessaires pour atténuer les symptômes liés à la pathologie. « Le travail de recensement conduit par les filières doit être poursuivi, pour continuer à améliorer l’encadrement et la sécurisation de l’accès aux traitements. »
Julie Wierzbicki
(1) Cette web-conférence a bénéficié du soutien d’Alexion, Pfizer, Kyowa Kirin, Sobi, Recordati Rare Diseases et Takeda