Maladies rares : comment garantir l’accès aux traitements?
Au-delà du nécessaire renforcement du diagnostic, comment faire en sorte que tous les patients éligibles à un traitement approuvé puissent en bénéficier ? Les participants à la dernière table-ronde du colloque de Pharmaceutiques dédié aux maladies rares s’interrogent sur les leviers organisationnels et réglementaires à actionner, au niveau national et européen, pour garantir un meilleur accès aux traitements.
Souad Mazari, fondatrice et présidente de l’association NMO France, créée en 2019, est venue partager en ouverture de la 3e table ronde de la web-conférence organisée par Pharmaceutiques le 8 février dernier (1) son expérience vis-à-vis de la neuromyélite optique dont elle est atteinte. Cette maladie inflammatoire démyélinisante du système nerveux central touche les nerfs optiques et/ou la moelle épinière, et évolue par poussées. « Le traitement au moment de la poussée est indispensable pour prévenir des séquelles graves voire invalidantes, prévient-elle, rappelant que le but de son association est de faire connaitre la maladie et d’accompagner les patients dans leur parcours. Trois nouvelles molécules dédiées à cette pathologie ont successivement obtenu leur AMM depuis 2020, et une autre est dans l’attente de son autorisation, mais malheureusement tous les patients n’ont pas accès à ces traitements suffisamment rapidement. » Floriane Pelon, directrice de l’évaluation et de l’accès à l’innovation à la HAS, explique intervenir à deux niveaux pour la mise à disposition d’innovations : dans le cadre du droit commun et celui de l’accès précoce depuis juillet 2021, en cas de présomption d’intérêt dans une pathologie grave et invalidante lorsqu’il n’y a pas de traitement disponible. « Dans le but d’arriver le plus vite possible aux patients, la Commission de la transparence a fait évoluer sa doctrine d’évaluation, dans le cadre du droit commun notamment, détaille-t-elle. Si la référence internationale reste l’essai clinique randomisé pour justifier l’usage d’une molécule, ces essais ne sont pas toujours faisables notamment dans le cadre des maladies rares. D’autres types d’approches sont envisageables telles que la comparaison indirecte avec un certain nombre de prérequis : anticipation du comparateur, appariement robuste entre les patients, et exhaustivité des données recueillies. » Dans le cadre de l’accès précoce, la HAS a réalisé un travail de collaboration avec la DGOS, la BNDMR (2), l’ANSM, les filières pour construire le recueil des données dans les maladies rares, adossé à l’outil BaMaRa déjà fortement utilisé. Le but est de s’assurer que cette collecte se fasse dans les meilleures conditions possibles et que les industriels puissent anticiper, avec de la visibilité sur le set de données minimales demandées. La HAS est très ouverte sur l’engagement des usagers dans les évaluations. « La qualité de vie et l’expérience patient sont indispensables, affirme-t-elle. Nous aimerions plus de données de qualité de vie dans les essais cliniques pour démontrer l’intérêt de la molécule. »
De nombreux atouts…
Anne-Sophie Lapointe, cheffe de projet Mission Maladies Rares à la DGOS, a à l’occasion explicité les atouts du PNMR3 pour améliorer le diagnostic et l’accès aux traitements. « Ils s’articulent autour de quatre angles : les programmes d’éducation thérapeutique (ETP) du patient et des aidants ; le financement des protocoles nationaux de diagnostic et de soins (PNDS) pour les professionnels de santé ; l’intégration des maladies rares dans le cursus de formation ; et le renforcement de l’axe diagnostic en coordination en amont et en aval avec les plateformes SeqOIA et AURAGEN du Plan France Médecine Génomique 2025 ». Le PNMR4 doit poursuivre les actions engagées et la structuration par filières (au nombre de 23) et centres de référence Maladies rares, qui viennent de faire l’objet d’une re-labellisation pour la période 2024-2029. « La collecte de données en vie réelle, avec pour objectif d’avoir des données sur la qualité de vie et ainsi de valider des échelles adaptées en fonction des pathologies, intégrera des indicateurs PROMS (Patient-reported outcomes measures) en lien avec la BNDMR », indique la cheffe de projet. La HAS a créé une cellule dédiée aux données de vie réelle en lien étroit avec la DGOS.
Une consolidation via la PNMR4
Valérie Rizzi-Puéchal, directrice de la Business Unit Maladies Rares à Pfizer France, estime qu’il faudrait créer un écosystème adapté aux innovations de rupture, notamment les thérapies géniques, surtout dans les maladies où il n’y a aucune alternative thérapeutique. Elle cite les exemples des thérapies dans l’hémophilie A et B et la myopathie de Duchenne. « Ces innovations doivent être accompagnées d’une révolution de prise en charge, clame-t-elle. Nous sommes dans l’attente de plus de décrets cadrant ces usages ainsi que de collecte de données pour réviser le mode d’évaluation de ces thérapies qui arrivent. Nous avons encore des incertitudes sur le modèle économique. » Simone Boselli, directeur des affaires publiques de l’alliance EURORDIS – Rare Diseases Europe , se félicite que la règlementation européenne établie depuis 2000 ait permis à près de 300 médicaments orphelins d’être autorisés au niveau européen. 24 ans après, il propose plusieurs axes d’amélioration. « Il faut trouver un équilibre entre le développement des médicaments sous la protection des données et un accès plus équitable entre les Etats membres. Il est également nécessaire d’améliorer le partage des informations via les réseaux européens de référence (ERN) qui existent depuis 2017 », plaide-t-il. Beaucoup a déjà été fait, mais beaucoup reste à faire dans le domaine des maladies rares qui appellent des actions spécifiques et ciblées. En ce sens, Anne-Sophie Lapointe salue l’action conjointe JARDIN, consacrée à l’intégration des ERN dans les systèmes de santé nationaux. « La France a le lead sur le data management, indique-t-elle. Avec l’appui de trois établissements (AP-HP, Strasbourg et Hospices Civils de Lyon), l’objectif est de voir comment nos données sont interopérables et peuvent être remontées aux ERN », explique-t-elle, en alignement avec ce qui est porté par le Health Data Hub et l’espace européen des données de santé. 15 groupes de travail et 300 personnes travaillent à l’élaboration du PNMR4 et de nombreuses actions en ressortent. La feuille de route doit être présentée le 29 février.
Juliette Badina
(1) Cette web-conférence a bénéficié du soutien d’Alexion, Pfizer, Kyowa Kirin, Sobi, Recordati Rare Diseases et Takeda
(2) Banque nationale de données maladies rares
Les Maladies rares comme modèle dans le Biocluster Genother
Angela Columbano, directrice business développement et partenariat à Généthon, est venue présenter le biocluster de thérapie génique Genother qui a été labellisé par le président de la République en mai 2023. « C’est une aventure assez récente, qui doit fédérer autour d’un projet commun de thérapie génique en France, se félicite-t-elle. Le but est de créer un écosystème axé sur le regroupement de leaders de renommée mondiale, donner accès aux différents acteurs à des plateformes technologiques couvrant le continuum du développement du médicament, favoriser les collaborations public-privé ainsi que la formation des futurs leaders du secteur, et enfin, revaloriser et accompagner des start-ups à fort potentiel. » Le projet est porté par sept fondateurs : Genethon, Inserm, AP-HP, Genopole, Yposkesi, Spark Therapeutics (filiale thérapie génique de Roche), Université Paris-Saclay, qui regroupent 2 000 scientifiques et cliniciens, 10 000 publications et ont déposé 2 000 brevets en thérapie géniques et lancé 50 programmes dédiés en clinique. « Les maladies rares seront un modèle pour le développement de ces thérapies géniques, qui permettra ensuite d’élargir à d’autres indications, assure-t-elle. Genother va permettre de structurer le plus grand référentiel de données de santé de patients atteints de maladies rares (données de recherche et cliniques) en Europe. Le biocluster permettra également d’améliorer la recherche épidémiologique pour la conception de cohortes, la recherche clinique pour des études de faisabilité et la recherche de patients éligibles pour des essais cliniques. »