Médicament : l’enjeu de l’équité
Le Panorama annuel du marché français de la santé, publié par IQVIA France, pronostique une hausse de 5% du marché pharmaceutique d’ici à 2028, tout en soulignant les risques d’inéquité d’accès à l’innovation pour les patients français.
En dépit de l’impact persistant de la pandémie, qui affecte les marchés de la santé et de l’industrie pharmaceutique, la croissance attendue à l’horizon 2028 restera soutenue, évaluée à 5% par an en moyenne. Tel est le message principal du « Panorama annuel du marché français de la santé » (Bilan et prospectives 2024), présenté le 11 mars 2024 par IQVIA France. « En analysant les huit principaux marchés, nous constatons cependant que le chiffre d’affaires moyen des nouveaux médicaments, six mois après leur lancement, était inférieur de 27% à la tendance constatée avant la pandémie, indique Yann Rateau, Directeur Consulting Services & Analytics. Plusieurs facteurs expliquent ce ralentissement, dont l’épuisement et le renoncement à leur métier de certains des professionnels de santé, les retards de diagnostic et de soins, les effets du Covid long sur le système de santé, ou encore les nouveaux modèles de soins et les parcours de prise en charge plus à distance pour toutes les maladies. » Alors que le marché du médicament avait progressé de 7,4% de 2019 à 2023, la hausse de 5% entre 2023 et 2028 sera principalement portée par le marché à l’hôpital (+ 7,1%), contre + 3,5% pour le marché de ville.
L’innovation insuffisamment soutenue
Côté enjeux, les experts de la société d’analyse et de conseil sonnent l’alerte : pour eux, le système de santé français « n’est pas prêt, financièrement ou structurellement, à adopter efficacement les innovations thérapeutiques ». Démissions et burn-out chez les professionnels, progression des déserts médicaux, coupes budgétaires… de plus en plus, ce sont les laboratoires pharmaceutiques qui doivent s’investir dans la mise à disposition de ces innovations, à travers la structuration des parcours de soins, l’aide au diagnostic, la mise en œuvre de programmes patients ou la promotion de la santé digitale. « Aujourd’hui, la notion d’accès au marché fait place à l’enjeu d’équité des prises en charge », note Yann Rateau. En forte tension, la démographie des médecins généralistes se caractérise par des écarts de densité persistants d’un territoire à l’autre, avec une inadéquation marquée entre l’offre et la demande de soins, comme le montre l’étude d’IQVIA pour le diabète et les maladies cardio-vasculaires.
Une offre de soins inadaptée
Des changements majeurs sont en œuvre, appelés à recomposer les modalités d’accès au marché pour l’innovation thérapeutique. L’évolution de l’activité libérale se confirme (- 17% de généralistes entre 2010 et 2023, 37% de généralistes salariés en 2023), tandis que la coopération pluriprofessionnelle se développe (781 CPTS et 2251 MSP en 2023), et que le pharmacien devient un interlocuteur-clé des industriels. Deux chiffres en témoignent : le TROD angine à l’officine est un réel succès (°334%) et 80% des pharmaciens s’investissent dans le rappel vaccinal.
Le retour du mass market
L’étude d’IQVIA s’attache également à analyser la structure du marché du médicament en 2023. « Après plusieurs années d’innovations en oncologie et dans les maladies rares, 2023 est marquée par l’arrivée de molécules mass market », note-t-elle. Au premier rang, la prise en charge de l’obésité, admise par les médecins comme l’un des principaux facteurs de risque global de morbi-mortalité, bénéficie de la mise sur le marché de Wegovy®, qui montre une réduction de 20% des risques d’événements cardio-vasculaires. Autre promesse, la classe des anti-amyloïdes offre de nouvelles solutions efficaces pour les patients atteints de la maladie d’alzheimer et pathologies assimilées.
L’oncologie domine toujours
Cependant, en termes d’accès au marché, l’année 2023 reste dominée par les médicaments dédiés à l’oncologie, qui représentent 40% des spécialités évaluées, devant les maladies rares (10%), les maladies infectieuses (9%) et la dermatologie ( 9%). « Moins d’innovations ont été reconnues en 2023, observe Delphine Houzelot, Directrice Senior prix et accès au marché chez IQVIA France. On comptait 43 % d’ASMR I à III, contre 47% en 2021 et 55% en 2022. » Mais la procédure de l’accès précoce, une spécificité française, favorise un accès plus rapide des patients à l’innovation. 123 indications en ont bénéficié depuis 2021, majoritairement en oncologie (77) et dans les maladies infectieuses (15). En moyenne, grâce à l’accès précoce, les patients accèdent aux nouveaux médicaments jusqu’à quatre ans plus tôt.
Maladies rares : le risque du désengagement
L’étude d’IQVIA pointe par ailleurs un élément de préoccupation des laboratoires pharmaceutiques : le durcissement des conditions d’accès au marché pour les médicaments dédiés aux maladies orphelines, en particulier sur le marché américain. La réduction budgétaire portée par l’Inflation Reduction Act (IRA) et la perte d’exclusivité en cas d’ajout d’indications pourraient inciter certaines entreprises à renoncer à certaines indications importantes. La réduction de 40% du seuil d’évaluation pour un bénéfice complet, de même que la réforme prévue pour abaisser de 10 à 9 ans l’exclusivité des brevets menacent également l’avenir de ces thérapies.
Hors brevet : un modèle à valoriser
Enfin, les experts d’IQVIA s’interrogent sur la viabilité des marchés hors brevet, alors que les business model se durcissent sous la pression des payeurs. Les exigences de relocalisation pour les génériques accroissent les coûts de production, sans prise en compte dans la définition des prix. Et le marché des biosimilaires, marqué par la complexité accrue des conditions de production de certaines spécialités ( ARNm…), reste concentré sur les traitements en oncologie et immunologie. « Plus de 70% des produits biologiques confrontés à une perte de brevet d’ici à cinq ans n’ont pas de biosimilaires en cours de développement », souligne Delphine Houzelot. Considéré comme l’un des principaux vecteurs d’économies dans le champ des biothérapies, le marché des biosimilaires appelle donc à des mesures de soutien dans les pays développés.
Hervé Requillart