Relancer la France dans la course à l’innovation pharmaceutique
Constatant un retard de la France en matière d’innovation, le Conseil d’analyse économique (CAE) émet huit recommandations pour changer la donne à chaque étape de la recherche.
« L’industrie pharmaceutique a fait face ces dernières années à des changements majeurs, notamment le passage de la chimie aux biotechnologies et à la génomique, rendant le processus d’innovation plus complexe et plus coûteux », a décrit Anne Perrot, membre du Conseil d’analyse économique, lors d’une conférence de presse, le 26 janvier. Les « blockbusters » ont cédé partiellement la place aux « médicaments de niche ». Des start‐up et des spin‐off universitaires émergent aux côtés des grands groupes. Un nouveau paysage que la France peine à appréhender, selon le CAE. En amont, la recherche académique souffre de financements « insuffisants ». « Entre 2011 et 2018, ils ont augmenté de 11% en Allemagne (à 4,9 Md$) et de 16% au Royaume-Uni (près de 3 Md$) alors qu’ils ont diminué de 28% en France (2,5 Md$). » Précision importante: ces chiffres ne prennent pas en compte le crédit impôt recherche (CIR) qui avoisine les 6 Md€ par an. La recherche fondamentale souffre également d’un manque d’attractivité, avec des salaires de base correspondant à 63% de la moyenne des pays de l’OCDE, et d’un manque de liens avec le monde industriel. Aussi, le CAE plaide pour une augmentation des fonds publics et pour la poursuite des efforts entrepris en termes de partenariats public-privé (voir aussi le dossier de Pharmaceutiques n°283).
Mieux rémunérer la recherche
Aux étapes suivantes de la recherche, l’instance déplore le « long déclin » du nombre de brevets déposés depuis le milieu des années 1990. « Nous avons des raisons d’être optimistes: en 2019, l’Inserm a été le premier déposant de brevets pharmaceutiques et le troisième pour les biotechnologies », salue toutefois Anne Perrot. Observant que les brevets ne sont pas toujours adaptés pour récompenser l’innovation (durée fixe, uniformité…), le CAE recommande, « au niveau européen, de permettre l’élaboration de contrats dont la durée d’exclusivité commerciale varie en fonction du degré d’innovation », et, « pour certaines pathologies prioritaires, de lancer des concours d’innovation pharmaceutique et s’engager à l’avance à les financer ». « L’Etat reprendrait la main pour injecter de l’argent public et définir des priorités », précise Anne Perrot. Outre la durée de protection des innovations, le prix est également à repenser. Il faut « améliorer la cohérence des règles de fixation des prix en France et permettre leur évolution sur la base de données envie réelle », plaide le CAE, qui souhaite expérimenter les contrats à la performance notamment.
Simplifier les procédures
L’innovation réside également dans le partage des données. Le CAE invite à soutenir le projet de l’European Health Data Space. Là, la France a une longueur d’avance avec le Health Data Hub. Elle est en revanche à la traîne sur les délais de mise sur le marché des médicaments. Anne Perrot dépeint un « millefeuille administratif » et des « procédures d’autorisation longues et complexes ». Il s’écoulait 489 jours en moyenne en 2015-2017 entre le dépôt de l’AMM et la commercialisation, contre 119 jours en Allemagne, 171 en Suisse et 209 au Royaume-Uni. Le CE appelle donc à la mise en place d’un « interlocuteur unique pour les porteurs d’innovation ».
Il souligne par ailleurs la faible pénétration des génériques sur le marché hexagonal (30%, contre 81% en Allemagne et 85% au Royaume-Uni), « impliquant des dépenses qui pourraient être plus utilement orientés vers des traitements plus récents et de meilleure qualité ». Il recommande donc d’évaluer les dernières mesures visant à favoriser la substitution.
D’autres dispositions récentes visant à soutenir l’innovation, telles que la loi de programmation pluriannuelle de la recherche 2021-2030 et le 4e Programme investissements d’avenir, devront également être évaluées dans les années à venir.
Muriel Pulicani