Démocratie sanitaire: des droits à réaffirmer
La démocratie sanitaire a été mise de côté lors de la crise du covid-19. Les citoyens doivent être partie prenante des décisions publiques pour une politique de santé et une prise en charge des patients plus adaptées, selon une table-ronde organisée par Pharmaceutiques.
« Cette crise a été gérée par une formation politique élitaire, de manière descendante, souvent contre les administrations », a analysé Henri Bergeron, directeur de recherche CNRS, titulaire de la chaire santé de Sciences-Po, lors de la 3e table-ronde organisée par Pharmaceutiques le 28 janvier. « Les associations de patients étaient informées après que les décisions aient été prises. Cela a généré beaucoup d’inquiétude de la part des usagers », témoigne Delphine Blanchard,patiente partenaire, secrétaire générale d’Info Rein Santé. Si l’absence de concertation était justifiée dans les premiers temps par l’urgence et le caractère inédit de l’épidémie, la situation n’a que peu évolué par la suite, avec la création d’un groupe de dialogue entre le comité scientifique et les représentants des usagers. « Des questions essentielles comme le fait de savoir si l’on privilégie la dégradation de l’état de santé, les morts et les conséquences à long terme ou les morts à court terme méritent un débat démocratique », pointe Henri Bergeron. Des décisions unilatérales ont ainsi été prises, débouchant sur l’arrêt des soins dans d’autres pathologies (oncologie, insuffisance rénale…). « On aurait pu chercher ensemble des solutions pour éviter les ruptures de soins, qui ont généré des pertes de chances considérables pour certains patients », déplore Delphine Blanchard.
Une expertise incontournable
Dans ce contexte, des associations comme Renaloo ont réussi à faire évoluer le système de soins vers plus de souplesse, permettant par exemple aux personnes greffées d’obtenir leurs médicaments en ville, sans devoir aller à l’hôpital. Fortes de leur expertise, elles demandent davantage de pouvoir institutionnel. « Les commissions des usagers ne sont que des instances parmi tant d’autres et leur voix n’est pas décisionnelle. Les patients partenaires ou les associations devraient pouvoir siéger dans les directions, intégrer les CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé). Plus les patients seront au cœur des décisions, meilleures elles seront », plaide Delphine Blanchard. « Les patients doivent être associés aux réflexions sur l’amélioration des parcours de soins, sur les déterminants de la coopération entre tous les acteurs (soins de premiers recours, hôpital, médico-social) », ajoute Henri Bergeron.
Au plus près des attentes
Attention toutefois à ne pas tomber dans les travers d’une démocratie sanitaire éloignée des patients eux-mêmes. « On a une perception un peu élitaire. Les patients experts ou partenaires, les représentants des usagers sont-ils la représentation réelle de l’expression générale des malades ? », interroge Philippe Mougin, président fondateur de HEROIC Santé. Pour pallier cet écueil, Info Rein Santé a développé récemment, lors d’un hackathon organisé à Lyon, une appli permettant de « recueillir les demandes des patients en oncologie avec leurs propres mots et de les catégoriser pour que les équipes de soins puissent mieux comprendre les besoins », décrit Delphine Blanchard. La plateforme HEROIC santé vise quant à elle à « fédérer de vastes communautés de malades pour mieux comprendre leurs besoins et leurs préférences », explique Philippe Mougin. L’intelligence artificielle doit analyser les propos échangés sans que la parole ne soit enfermée dans le carcan de questionnaires ou du dialogue conduit par le professionnel de santé.
Concertation avec les professionnels
« Pour éviter les communautés de ‘bashing’ ou d’opposition, il faut leur insuffler des logiques de ‘peer to peer’ pour la résolution de problèmes, complète Philippe Mougin. Et dire que l’on a besoin des acteurs de santé. En miroir des CPTS, on pourrait avoir des communautés de patients construites en accord avec les professionnels », imagine-t-il.
La démarche pourrait permettre de développer des indicateurs de qualité au plus près du vécu des patients, pour repenser la valeur des actes médicaux. La refonte des indicateurs, déjà initiée avec les dispositifs e-satis ou IFAQ (incitation financière à la qualité) en établissements, nécessitera de trouver le point d’équilibre entre bonnes pratiques objectives et ressenti subjectif des patients. La co-décision devra elle aussi parvenir à concilier le choix du patient et la compétence du professionnel de santé. « Parfois, le patient a besoin de se laisser porter. Le médecin doit être assez pragmatique sur cette question. Mais l’existence de la possibilité juridique d’une co-décision est une très bonne chose », conclut Henri Bergeron.
Muriel Pulicani