Ghislaine Leleu, présidente d’Astellas France : « Innovation doit rimer avec valorisation et diffusion ! »
Dans une interview exclusive, Ghislaine Leleu* détaille les grands axes stratégiques du groupe japonais, affiche ses ambitions sur le marché français et propose ses solutions pour stimuler l’innovation.
Quelles sont les grandes caractéristiques de votre laboratoire ?
Notre laboratoire est né en 2005. Produit de la fusion entre Fujisawa et Yamanouchi, Astellas est le deuxième groupe pharmaceutique japonais. Il intervient dans quatre domaines thérapeutiques majeurs – oncologie, onco-hématologie, transplantation et néphrologie – et affiche clairement ses intentions : transformer la science innovante en valeur pour les patients, mais aussi pour les professionnels de santé et les soignants qui les soutiennent. Ce mantra est la pierre angulaire du « corporate strategic plan » présenté il y a deux ans par Kenji Yakusawa, notre CEO.
Quels sont les principaux axes de cette stratégie ?
Cette stratégie repose essentiellement sur une profonde refonte de notre modèle de R&D. Caractéristique notable : Astellas a choisi de concentrer ses efforts sur des thérapies innovantes qui répondent à des besoins médicaux non satisfaits, notamment pour les cancers digestifs et uro-génitaux. A la fois longue et complexe, cette transition passe par une meilleure compréhension des mécanismes biologiques des pathologies sur lesquelles nous travaillons, et non plus sur une approche globale par aire thérapeutique.
C’est-à-dire ?
Davantage axée sur les acquisitions, les partenariats public-privé ou encore la création de centres de recherche spécialisés, cette réflexion par plateforme scientifique doit nous permettre de concevoir des thérapies ciblées intégrant la médecine personnalisée, mais aussi des virus oncolytiques. Les progrès technologiques ont facilité l’identification de nouvelles cibles biologiques prioritaires comme la biologie de la mitochondrie, la régénération cellulaire et la régulation génétique, et plus récemment l’homéostasie immunitaire et les altérations génomiques du cancer. Une trentaine de molécules sont actuellement en développement, dont vingt-quatre dans des programmes actifs.
Quelle place la filiale française occupe-t-elle au sein du groupe ?
Nous sommes la cinquième filiale du groupe, derrière les Etats-Unis, le Japon, la Chine et l’Allemagne. Aucun site de production n’est implanté sur notre territoire**, sans changement prévu à court terme, mais la France reste le deuxième marché européen pour Astellas. Plusieurs lancements importants ont été effectués en oncologie et en néphrologie. Un nouveau traitement contre l’anémie symptomatique liée à une maladie rénale chronique est disponible depuis le mois dernier. D’autres lancements en oncologie sont attendus dans les prochains mois.
Lesquels ?
Depuis le mois de juillet, nous bénéficions d’un accès précoce pour un médicament très innovant qui détient une AMM européenne. Indiqué dans le traitement du carcinome urothélial, soit le cancer de la vessie le plus fréquent, il est destiné aux patients ayant connu des échecs successifs de chimiothérapie et d’immunothérapie. Nous avons également plusieurs produits en phases avancées dans les tumeurs solides, notamment dans le traitement des cancers de l’estomac. Nous travaillons par ailleurs sur des extensions d’indications pour certains de nos médicaments contre le cancer de la prostate et la leucémie aiguë myéloïde.
Ponctions tarifaires, inflation galopante, crise énergétique… Une conjoncture défavorable peut-elle compromettre vos perspectives de développement en France ?
La situation actuelle ne doit pas nous détourner de notre fonction première : réduire les pertes de chance et améliorer le quotidien des patients. Certains freins persistants devront néanmoins être levés pour y parvenir dans la durée. Abstraction faite du contexte dégradé par une inflation croissante, les prix français sont parmi les plus bas en Europe. Cette réalité économique accentue les délocalisations, freine les nouvelles implantations et se traduit parfois par un renoncement au marché hexagonal. Les pouvoirs publics doivent repenser la régulation et le financement du médicament en France. L’accès aux thérapies innovantes doit devenir une priorité politique.
Quelles sont vos propositions pour soutenir l’innovation ?
La reconnaissance et la valorisation de l’innovation seront deux leviers critiques. Les dispositifs conventionnels existent. Les plans de relance aussi. Il faut désormais concrétiser la promesse. Le dialogue avec le gouvernement ne doit pas être rompu. Il doit se poursuivre dans un climat serein et apaisé, notamment via le Leem et LaJaPF, pour accélérer la mise à disposition des traitements innovants. La création de valeur sera également un facteur déterminant. Notre ambition est de renforcer la place de la France dans les programmes de développement portés par Astellas. Nous envisageons aujourd’hui des partenariats avec de grands centres académiques. Je ferai tout mon possible pour convaincre notre R&D de mettre en place des phases précoces dans l’Hexagone.
Comment vos dirigeants perçoivent-ils la politique française du médicament ?
Ils sont surpris de constater que la France devient l’un des pays où le prix net de remises des médicaments innovants est le plus faible au monde. Je dois très régulièrement faire la lumière sur nos contraintes budgétaires, mais aussi sur les récentes avancées visant à stimuler la recherche et l’innovation. Une chose est sûre : il devient très difficile de réconcilier les ambitions politiques du gouvernement et la logique comptable de la régulation budgétaire. Certains dispositifs, comme la clause de sauvegarde, suscitent des interrogations légitimes. Le manque de stabilité et de prévisibilité ne plaide pas en notre faveur, notamment en matière d’investissement.
Propos recueillis par Jonathan Icart
(*) Le Dr Ghislaine Leleu a été promue présidente d’Astellas France en juillet 2021. Elle travaillait précédemment à Londres, au siège européen du groupe japonais, en tant que SVP Medical Affairs EMEA depuis 2016. Avant de rejoindre l’industrie pharmaceutique, il y a vingt ans, elle était réanimatrice au sein du service de réanimation médicale de l’hôpital Saint-Louis, où elle a exercé pendant plus de dix ans.
(**) Astellas compte trois sites de production en Europe, soit un au Pays-Bas et deux en Irlande.
Astellas en bref
Implanté dans 70 pays, Astellas recense 14 500 collaborateurs dans le monde pour un chiffre d’affaires estimé à 9,9 milliards d’euros *. Signe particulier : 17 % du CA sont réinvestis dans la R&D. La filiale française emploie 180 personnes. Elle a publié un CA de 424,5 millions d’euros lors du dernier exercice comptable clos*.
(*) Année fiscale allant du 1er avril 2021 au 31 mars 2022.