Rémi Droller (Kurma Partners) : « Mieux accompagner les sociétés dès leur création »
A l’occasion du rachat par Ipsen de la biotech marseillaise ImCheck Therapeutics (1), Rémi Droller, associé chez Kurma Partners (groupe Eurazeo), qui a accompagné la société depuis sa création, revient sur son parcours. Il détaille pour Pharmaceutiques la stratégie du fonds d’investissement, avec pour objectif d’aider les entreprises de la healthtech à grandir sur des fondations solides.
Comment Kurma Partners a-t-il accompagné ImCheck Therapeutics de sa création à son rachat ?
Nous avons même été à l’origine de la création de la société, en 2015, après avoir rencontré le Pr Daniel Olive, directeur d’un laboratoire du Centre de recherche en cancérologie de Marseille, qui souhaitait transformer en approche thérapeutique ses travaux autour de certaines classes lymphocytes T. Nous avons négocié la licence sur les brevets auprès d’Inserm Transfert et j’ai pris la présidence du conseil d’administration durant les premières années d’existence de l’entreprise : je suis toujours au CA aujourd’hui. Nous avons aussi dès le départ cherché l’appui d’une entreprise pharmaceutique, Boehringer Ingelheim, pour amener de l’expertise industrielle très tôt dans le projet. Le BI Venture Fund a été à nos côtés l’un des co-leaders (avec également les fonds Gimv et LSP – aujourd’hui EQT Life Sciences) du tour de financement de série A de 20 M€ en 2017. Par la suite nous avons abondé chaque tour de financement et nous sommes encore aujourd’hui, avec Eurazeo (2), le deuxième actionnaire d’ImCheck Therapeutics (derrière Bpifrance), à hauteur d’environ 10 %.
Notre rôle en tant qu’investisseur est de guider les sociétés dans leur stratégie de financement. Nous contrôlons le respect du business plan. Nous mettons aussi à contribution notre réseaux d’experts. Et grâce à nos échanges réguliers avec les big pharmas, nous pouvons orienter les biotechs pour qu’elles répondent mieux à leurs attentes.
Plusieurs sociétés du portefeuille de Kurma Partners (3) ont été rachetées ces dernières années… mais cette fois l’acquéreur est français. Est-ce que cela revêt pour vous une importance particulière ?
En tant qu’investisseur, nous devons choisir la meilleure sortie possible pour nos actionnaires, et cela ne repose pas que sur le montant initial proposé à la clôture de la transaction : la qualité de l’acquéreur compte aussi ! Celui-ci doit donner le maximum de chances au projet de franchir les jalons (cliniques, réglementaires, commerciaux) qui donneront lieu à des paiements différés complémentaires. Ces garanties comptent plus que la nationalité de l’acheteur. Néanmoins, le fait que celui-ci soit français n’est pas neutre. Kurma étant un investisseur français – même si nous avons aussi des bureaux à l’étranger – il est important pour nous que l’écosystème français soit fort. Que l’expertise développée par ImCheck puisse être conservée en Europe et même en France est un facteur important de la performance non financière de notre investissement.
Vous avez lancé l’an dernier votre quatrième BioFund, dédié aux jeunes entreprises innovantes en santé, avec un objectif de clôture à 250 M€. Où en êtes-vous dans son financement et dans l’évolution du portefeuille de sociétés accompagnées ?
Une start-up est particulièrement fragile à sa création. Avec ces BioFund nous voulons leur donner les moyens de se construire sur des fondations solides, aussi bien en termes de financements que d’expertise. Pour notre BioFund IV, nous avons déjà franchi significativement la barre des 200 M€, avec notamment le soutien du laboratoire pharmaceutique australien CSL Behring, et nous sommes très confiants quant à l’atteinte de notre cible. Nous dépasserons ainsi les capacités de financement de BioFund III (160 M€), ce qui nous permettra d’accompagner d’avantages de sociétés avec des montants plus conséquents pour chacune. Dans le contexte actuel, avec des marchés boursiers encore assez fermés et des investisseurs institutionnels plus précautionneux, nous préférons réaliser des tours plus importants mais plus espacés, afin de laisser le temps à l’entreprise de générer de nouvelles données pour dérisquer son projet.
Avec Kurma BioFund IV, nous pourrions financer au total une vingtaine de sociétés. Nous avons déjà investi dans neuf – dont près de la moitié que nous avons co-fondées. Mais nous finançons aussi des entreprises préexistantes, ce qui nous permet notamment d’étendre notre réseau de co-investisseurs. Nos premiers critères sont l’originalité et la qualité de la science, ainsi que la capacité de l’entreprise à transformer cette science en une réponse à un besoin médical très fort. Le marché adressé et la compétence du management sont aussi très importants. La renommée du ou des chercheurs à l’origine des actifs de la société est également un atout majeur, un gage de la validité du projet à même d’attirer d’autres investisseurs.
Comment résumeriez-vous le « modèle » Kurma Partners ?
Nous sommes des investisseurs-entrepreneurs. Nous accompagnons les entreprises tout au long de leur vie, aussi bien sur le champ thérapeutique que sur le champ des technologies médicales, avec des équipes dédiées très focalisées sur les stades précoces et un fonds de croissance assorti à des compétences adaptées à la transformation des sociétés. Et nous avons une taille suffisante pour internationaliser les projets, grâce à notre réseau et aux partenaires internationaux engagés dans nos fonds.
Propos recueillis par Julie Wierzbicki
(1) Ipsen et ImCheck Therapeutics ont annoncé un accord définitif de rachat le 22 octobre dernier, prévoyant un paiement de 350 M€ (sans trésorerie ni dette) à la clôture de la transaction (prévue d’ici la fin du premier trimestre 2026) et des versements ultérieurs pouvant atteindre jusqu’à un milliard d’euros. Le candidat le plus avancé d’ImCheck, ICT01, est un anticorps monoclonal modulateur de l’immunité innée et adaptative, en phase I/II, désigné « médicament orphelin » en Europe et aux Etats-Unis dans la leucémie myéloïde aiguë.
(2) Eurazeo a acquis une participation majoritaire dans Kurma Partners en 2021 et en est devenu l’unique actionnaire au printemps dernier.
(3) Corlieve Therapeutics a été cédé à UniQure en 2021, Emergence Therapeutics – également fondée par le Pr Daniel Olive – à Eli Lilly en 2023 et Amolyt Pharma à AstraZeneca en 2024.
