Santé numérique : un ouvrage collectif
Les laboratoires pharmaceutiques, les professionnels de santé et les patients devront coopérer plus étroitement pour accompagner la transition numérique du système de santé. Des bénéfices concrets sont attendus, notamment dans les domaines de l’accès aux soins et du bon usage du médicament.
La technologie va transfigurer les relations entre les différents acteurs du système de santé. Organisée par Pharmaceutiques et TechToMed, la troisième édition de Pharma HealthTech réunissait plusieurs spécialistes pour débattre d’une question essentielle : comment redéfinir les nouvelles frontières de l’organisation sanitaire ? La pandémie a ouvert le champ des possibles. Parmi d’autres bouleversements technologiques, la télémédecine aura permis de préserver la santé des plus fragiles, en favorisant notamment le suivi des patients à distance. Longtemps réservée à quelques initiés, la discipline semble avoir trouvé sa place dans le paysage médical. « Nous sommes passés de l’artisanat digital à la massification des usages. La levée de certains freins réglementaires a eu raison des réticences culturelles », estime David de Amorim, directeur du développement et de la R&D de MesDocteurs. Selon lui, deux faits marquants expliquent ce changement d’échelle : l’inscription de la téléconsultation et du télésuivi dans le droit commun et leur remboursement intégral par la Sécurité sociale. « La télé-expertise devra être logée à la même enseigne pour franchir un cap supplémentaire », prévient-t-il.
Un relais dans les territoires
Bien positionnées dans les territoires, les pharmacies d’officine seront l’un des piliers de l’offre numérique en santé. « La profession facilitera l’accès à des avis spécialisés dans les zones les plus isolées. Elle contribuera à réduire les distances et les délais d’attente qui ont tendance à s’accentuer », affirme Thomas Brunet, pharmacien d’officine à Chinon et co-fondateur d’Apodis Pharma, dont il assure également la présidence. Au-delà des aspects démo-géographiques, les nouvelles technologies auront des répercussions bénéfiques dans le domaine du bon usage du médicament. Outre les nombreuses possibilités offertes par le dossier pharmaceutique, la généralisation des études en vie réelle pourrait affiner la mesure de certains paramètres critiques, à l’instar de l’observance thérapeutique. « La bonne utilisation des produits prescrits et délivrés doit être considérée comme une priorité de santé publique. Nous devrons mieux exploiter les données recueillies au comptoir pour proposer des applications et des services adaptés aux besoins exprimés », commente Thomas Brunet.
Croiser les expertises
Loin de se cantonner à ses volets organisationnels et professionnels, le développement de la e-santé doit naturellement se concevoir dans ses dimensions entrepreneuriales et partenariales. « Le numérique fait partie des cinq grands piliers de notre stratégie d’entreprise qui doit nous conduire à soigner deux fois plus de malades en deux fois moins de temps », rappelle Timothé Cynober, responsable de l’innovation digitale chez Novartis France. Traduction opérationnelle de cette vision, le groupe suisse s’est constitué son propre réseau, matérialisé sous la forme de Biomes*. « Ce sont des interfaces directes entre notre laboratoire et l’écosystème digital. Ces structures doivent simplifier la co-construction de projets innovants via un meilleur partage des ressources et des compétences disponibles. Les professionnels de santé et les patients sont impliqués dans le processus. » Cette approche synergique présente deux avantages notables : croiser les expertises pour appréhender le malade dans sa pathologie et non plus uniquement dans son traitement ; importer ou exporter des modèles qui fonctionnent à l’international.
Aller plus vite et plus loin
Malgré des progrès évidents, la France doit encore combler un retard de maturité important, notamment par rapport à certains pays asiatiques. « Il faudra aller plus vite et plus loin pour digitaliser notre système de soins », confirme Delphine Poulat-Lucas, co-fondatrice et directrice générale d’Euris. Elle cite trois pistes concrètes pour y parvenir : l’agilité technologique, le respect de la règlementation et la maîtrise des usages. « La formation des opérateurs et l’accompagnement des utilisateurs seront deux défis majeurs », insiste-t-elle. Plus largement, la transparence et la confiance seront les véritables leviers du la transformation. La finalité devra primer sur les opportunités. « Les patients devront être sollicités dès la phase de conception des outils digitaux, ne serait-ce que pour garantir leur utilité », recommande Delphine Blanchard, patiente experte à la HAS et enseignante dans un DU de médecine connectée. Derrière ces nombreux enjeux, une contrainte technique devra être impérativement levée, celle de l’interopérabilité des dispositifs déployés. Une « condition imposée » pour structurer efficacement les parcours de santé.
Jonathan Icart
(*) Les Biomes sont les « catalyseurs » de la stratégie numérique de Novartis. Ils ont été conçus pour renforcer les collaborations entre le laboratoire et les acteurs de l’écosystème digital dans une logique d’open innovation. Le premier d’entre eux a été lancé à San Francisco, il y a trois ans. Installé six mois plus tard, Biome Paris devenait le premier « hub » du groupe suisse en Europe. Il en existe aujourd’hui une dizaine à travers le monde.