« Soyons optimistes face au changement pour en saisir toutes les opportunités ! »
Pius S. Hornstein, qui pilote la transformation digitale commerciale chez Sanofi, bénéficie d’un poste d’observation privilégié. Il partage sa vision de la digitalisation dans l’industrie pharma, l’évolution du modèle économique et les opportunités liées aux nouvelles technologiques.
La transformation digitale est une évidence pour toutes les big pharma. Mais à quels enjeux majeurs sont-elles confrontées ?
La digitalisation n’intervient pas seulement dans l’industrie pharma, mais impacte la société et l’humanité dans son ensemble. Le changement social est à l’œuvre et modifie également l’interaction et les relations avec les soins de santé. Un premier enjeu est de prendre conscience de la rapidité du phénomène. Nous avons vu apparaître plus d’innovations ces dix dernières années, qu’au cours des cent précédentes, selon les experts. C’est assez impressionnant ! Un second enjeu de taille est l’informatique dématérialisée dans le cloud pour décupler la puissance des ordinateurs et le partage de données. Et début 2023, il y a eu l’avènement de l’intelligence artificielle (IA) générative et des modèles organisationnels accessibles par tous. Ce sont des évolutions radicales, qui vont très vite et sont porteuses de création de valeur pour les big pharma au cours des dix prochaines années.
Quel est le nouveau modèle encouragé par le cloud pour l’industrie pharma ?
Chez Sanofi, la transformation digitale vise un double objectif qui est d’accélérer la recherche scientifique et d’améliorer la qualité de vie des patients. Le modèle digital encourage à faire mieux et de manière plus efficace au sein de Sanofi, mais aussi à être différenciant par rapport à la concurrence. Nous souhaitons que le digital bénéficie à plus de patients et nous aide également à mieux interagir avec eux, en particulier à l’étape de R&D. L’ambition est réelle de diminuer de moitié les temps de développement des nouveaux médicaments (aujourd’hui de 8 à 10 ans, et coûtant 2 à 3 milliards d’euros) en accélérant la découverte de nouvelles molécules et le développement clinique, mais aussi la production et la distribution, tout en maîtrisant les coûts. Et, lorsque la molécule est sur le marché, il y a également la possibilité de mieux accompagner le patient dans son parcours de soins.
Quels sont les avantages et opportunités sur lesquelles vous travaillez ?
Nous exploitons les big data et l’IA générative sur plusieurs axes. En R&D, nous pouvons par exemple élaborer des designs d’essai cliniques sur nos protéines à partir des données existantes et tester plusieurs scénarios possibles pour leur développement. Nous pouvons également prendre des décisions plus rapides, de manière globale, sur la conduite des essais en identifiant plus rapidement les centres investigateurs ou encore les profils de patients. Sans oublier la possibilité de travailler de manière plus collaborative et mieux organisée au niveau de nos sites de production et de distribution quant aux molécules en développement. Un dernier exemple, au niveau du parcours de soins, est la coopération développée avec Dario Health, une société américaine, pour améliorer l’observance du patient. Nous avons démontré, en suivant près de 10 000 patients atteints d’une maladie chronique, que l’interaction et le suivi digital peuvent induire une amélioration des ressources médicales de presque 10%.
Comment avez-vous impulsé la transformation digitale chez Sanofi ?
La collaboration avec les start-ups est clé. Chez Sanofi, nous cherchons à travailler avec les meilleures. C’est pourquoi nous sommes partenaires de Future4Care, l’accélérateur européen de start-ups en e-santé. En janvier 2021, Sanofi a uni ses forces avec Generali, Orange et Cap Gemini, leaders sur leur marché respectif, pour favoriser l’incubation des sociétés les plus prometteuses. 37 ont déjà intégré l’accélérateur, dont 11 travaillent déjà avec Sanofi sur les solutions du futur pour mieux soigner à l’avenir. Nous faisons ainsi jouer la fertilisation croisée, à partir de l’expertise de Sanofi, pour aider l’écosystème. Aujourd’hui, Future4Care souhaite s’étendre à d’autres pays, notamment l’Allemagne. En Europe, 90% des investissements dans la e-santé visent la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse, des pays dans lesquels Sanofi est aussi largement engagé. En parallèle, nous intégrons de nouvelles compétences en interne sur l’expérience client, des développeurs informatiques et des data scientists, au sein de notre accélérateur parisien. L’objectif est de développer nos propres outils digitaux adaptés à nos thérapies et aux besoins des patients. Et pour y arriver, il ne faut pas hésiter à s’inspirer des best in class. L’Oréal, par exemple, est un groupe leader dans les cosmétiques et pionnier sur l’engagement des consommateurs. Il y a quelques semaines, j’ai échangé avec Stéphane Lannuzel, directeur de la BeautyTech, sur la possibilité d’amener du conseil et une interaction plus personnalisée aux consommateurs grâce au big data et à l’IA. Ce que propose L’Oréal, par exemple, sur l’analyse de la peau avec des recommandations personnalisées de traitements.
Quels défis reste-t-il à relever ?
Les défis liés à la digitalisation sont nombreux et multiples. D’abord, accompagner les collaborateurs en interne à intégrer le changement et acquérir la diversité d’expertises, des certifications reconnues et de métiers (dans la R&D, le marketing, …) nécessaires pour apprendre plus vite et mieux. Un second point est d’être clair sur l’objectif à atteindre dans la transformation digitale afin qu’elle apporte des gains concrets à l’innovation médicale et aux patients. En d’autres termes, ne pas être motivés par des ambitions de court terme ! Le troisième point est qu’il faut être prêt à changer sa manière de travailler et son état d’esprit. Avec le digital, le cycle de l’innovation avance de manière plus itérative, par phase, et en combinant plusieurs expertises. On ne cherche pas à avoir le produit parfait dès le départ, mais à s’améliorer rapidement grâce aux nouvelles technologies, et être au plus près des besoins du patient.
Que faut-il espérer maintenant ?
Le monde de demain sera plus ouvert et collaboratif. C’est le défi qu’il nous faut relever au travers de la transformation digitale pour accélérer notre innovation scientifique, interagir plus efficacement avec les personnels qualifiés de l’université ou les scientifiques dans les start-ups, faire des choix pertinents de technologies et investir sur des axes et sociétés stratégiques. L’IA générative avec ChatGPT nous montre qu’il y a de l’innovation technologique dont nous pouvons tirer parti, même si nous n’en sommes pas à l’origine. Soyons optimistes face au changement pour en saisir toutes les opportunités !
Propos recueillis par Marion Baschet Vernet