Télésurveillance en oncologie : premières recommandations mondiales
L’ESMO a publié le 21 avril (1) ses recommandations sur le rôle des mesures rapportées par les patients (PROMs) tout au long de la prise en charge clinique de leur cancer. Pour la première fois, ces recommandations se penchent sur la place de la télésurveillance et définissent les critères auxquels doivent répondre les logiciels employés à cet effet. Le Pr Fabrice Denis (Institut Inter-Regional de Cancérologie Jean Bernard au Mans), qui a contribué à leur rédaction, en présente les points clés pour Pharmaceutiques.
La télésurveillance est déjà utilisée depuis des années en oncologie : pourquoi publier maintenant ces recommandations ?
Pr Fabrice Denis : C’est l’évolution du niveau de preuves qui a incité l’ESMO (European Society of Medical Oncology) à réunir un groupe de travail sur la télésurveillance des symptômes rapportés par les patients (e-PRO). On disposait alors de huit études randomisées dont les résultats avaient été présentés au fil de ces dernières années, montrant un impact positif de la télésurveillance en oncologie en termes d’amélioration de la survie globale, de la qualité de vie, de l’observance des traitements ainsi que de réduction des symptômes, des arrêts de traitements liés aux effets secondaires et des hospitalisations en urgence. 16 confrères et experts de cinq continents ont travaillé pendant plus d’un an sur l’analyse de ces résultats, les indications de la télésurveillance, les modalités de son déploiement et le choix des logiciels. Ces recommandations modifieront durablement le parcours de soins des patients.
Dans quelles circonstances et sous quelles conditions la télésurveillance peut-elle apporter ces bénéfices ?
Les études que nous avons analysées portent majoritairement sur des patients au stade métastatique. Nous disposons de moins de données probantes sur la télésurveillance en stade précoce, et nous n’avons pas encore de preuves sur les bénéfices pour les patients traités par hormonothérapie – mais des études sont en cours et ces recommandations seront bien entendu actualisées dès que ces données seront disponibles. La télésurveillance peut également avoir un intérêt dans la détection précoce des récidives chez les patients à haut risque. Nous privilégions les applications conçues pour assurer un suivi pour tous les cancers, afin que chaque établissement puisse fonctionner avec un unique logiciel, remplissant les critères de sécurité requis, qu’il proposerait à tous leurs patients. La gestion des alertes serait confiée à une infirmière de coordination, éventuellement avec l’appui d’un oncologue référent en fonction des besoins. Cela centralise davantage le parcours autour de l’hôpital, mais c’est selon moi l’une des raisons des bons résultats obtenus dans les études cliniques.
Pr Fabrice Denis, membre du groupe de travail « e-PRO » de l’ESMO :
« Les critères que nous proposons vont certainement contribuer fortement à éclaircir le paysage des logiciels existants et orienter le développement des futures solutions. »
De très nombreux logiciels sont aujourd’hui disponibles. Comment faire le tri ?
Les critères que nous proposons vont certainement contribuer fortement à éclaircir le paysage des logiciels existants et orienter le développement des futures solutions. Nous avons établi deux listes : une pour les caractéristiques indispensables et une pour celles qui excluent le recours à ces dispositifs. Selon nos recommandations, les algorithmes doivent être validés par des essais cliniques, le même logiciel doit pouvoir être utilisé pour le suivi de tous les cancers et de toutes les toxicités de tous les traitements, posséder un marquage CE de classe IIa pour le marché européen, et les éditeurs ont à respecter les réglementations sur la protection des données (RGPD). Sont à exclure les algorithmes de plus de cinq ans sans mise à jour réalisée selon les standards de prise en charge, et ceux que le professionnel de santé pourrait modifier lui-même (potentielle source d’erreur) ; en outre l’éditeur ne doit pas avoir subi d’alerte critique de sécurité au cours des trois dernières années. Au final, considérant les logiciels disponibles en Europe et aux Etats-Unis, à peine une demi-douzaine répond à ces exigences !
Le déploiement de la télésurveillance nécessite sa prise en charge financière par l’assurance maladie. Où en sont les autorités françaises sur ce sujet ?
La publication de nos recommandations a été, je pense, bien anticipée. Tout le monde est prêt et sensibilisé. Nous devrions voir dès le deuxième semestre 2022 les premiers actes de télésurveillance, assortis du remboursement de nouvelles applications e-PRO pour tout type de cancer. La validation de la télésurveillance pourra d’ailleurs être renforcée par des études en vie réelle utilisant ces logiciels. Je suis persuadé que les e-PRO vont aussi prendre de plus en plus d’importance pour l’évaluation des médicaments en vue de leur remboursement et je m’attends à une prochaine adaptation des lignes directrices de la HAS en ce sens.
Propos recueillis par Julie Wierzbicki
(1) M. Di Maio, E. Basch, F. Denis et al., Ann Oncol. 2022. En accès libre.