Ipsen mise plus que jamais sur la croissance externe
Désormais recentré sur la médecine de spécialité, le groupe français Ipsen a mis en avant l’élargissement de son pipeline, lors d’une conférence de presse de présentation de ses résultats semestriels. L’occasion de faire le point sur les prochains lancements et de revenir sur le parcours du palovarotène, premier traitement de la « maladie de l’homme de pierre », récemment approuvé aux Etats-Unis mais refusé en Europe.
« Ces deux dernières années, 20 nouvelles molécules ont fait leur entrée dans notre pipeline, et cela va continuer ! » Ainsi David Loew, directeur général d’Ipsen, a-t-il illustré la stratégie de croissance externe du groupe français, recentré sur la médecine de spécialité (oncologie, maladies rares et neurologie) depuis la cession l’an dernier à Mayoly Spindler de sa division santé grand public. L’acquisition d’Albireo, finalisée en mars dernier, a par exemple ajouté à son portefeuille un médicament, Bylvay®, déjà autorisé dans deux maladies hépatiques rares, la cholestase intrahépatique progressive familiale (Europe et Etats-Unis) et le syndrome d’Alagille (AMM aux Etats-Unis en juin dernier dans le traitement du prurit lié à la cholestase chez les patients atteints ; enregistrement en cours en Europe). Celui-ci est également en phase III dans l’atrésie des voies biliaires.
Une quinzaine de ces molécules ont intégré le pipeline au stade préclinique, majoritairement en oncologie. « Mais nous n’avons pas encore suffisamment de candidats en phase I », observe le dirigeant. La trésorerie générée grâce à des « gains d’efficience » devrait favoriser de nouveaux rachats ou prises de licence.
Vague d’enregistrements
Outre la récente extension d’AMM de Bylvay® aux Etats-Unis, Ipsen a également soumis à la FDA une nouvelle indication de son anticancéreux Onivyde®, en association avec d’autres traitements, dans le cancer du pancréas métastatique : la décision de l’agence est attendue pour février 2024. Suite à l’annonce de résultats préliminaires positifs de phase III en juillet dernier dans une autre maladie hépatique rare, la cholangite biliaire primitive, le dossier d’enregistrement de l’élafibranor (acquis auprès du français Genfit fin 2021) pourrait être déposé prochainement auprès de la FDA et de l’EMA.
Cet été a également marqué l’heureux achèvement, du moins aux Etats-Unis, du parcours complexe du palovarotène. Cette molécule, agoniste sélectif du sous-récepteur gamma de l’acide rétinoïque, avait intégré le pipeline d’Ipsen à l’occasion du rachat du canadien Clementia Pharmaceuticals en 2019, qui l’avait lui-même acquise auprès de Roche. Le palovarotène vise à ralentir la progression d’une maladie très rare et invalidante, la fibrodysplasie ossifiante progressive ou « maladie de l’homme de pierre », qui touche environ 900 personnes dans le monde. Des premières demandes d’AMM ont été déposées en Europe et aux Etats-Unis en 2021, cette dernière retirée la même année en attente de données supplémentaires. Une nouvelle demande soumise en 2022 a été à nouveau retirée en fin d’année, la FDA ayant adressé une lettre de réponse complète.
La troisième tentative en mars 2023 fut néanmoins la bonne, avec une approbation en bonne et due forme le 16 août dernier. Le médicament, premier autorisé dans cette pathologie, sera lancé cet automne aux Etats-Unis sous la marque Sohonos™, comme au Canada où une AMM avait été obtenue dès début 2022. Il ne pourra pas être administré aux enfants de moins de huit ans (pour les filles) et dix ans (pour les garçons), l’un de ses principaux effets secondaires étant de stopper la croissance.
Nouveau candidat dans la maladie de l’homme de pierre
Le dénouement fut bien différent en Europe, où le comité des médicaments à usage humain de l’EMA a émis par deux fois un avis négatif, entériné par la Commission européenne en juillet dernier. L’agence a estimé que l’analyse post-hoc sur laquelle s’appuyait la demande n’était « ni scientifiquement ni cliniquement justifiée » et que le critère principal de l’étude (modification de la quantité d’ossifications hétérotopiques nouvellement développées chez les patients) n’était pas atteint. « Nous avions utilisé comme bras comparateur une étude d’histoire naturelle de la maladie : c’est une méthodologie qui est mieux acceptée par la FDA que par l’EMA », justifie David Loew. Le dirigeant exclut pour l’heure de déposer un nouveau dossier en Europe qui s’appuierait sur les données de vie réelle récoltées sur les patients nord-américains.
Ipsen a cependant une deuxième carte à jouer dans cette pathologie, avec le développement d’un deuxième candidat, le fidrisertib, inhibiteur de la kinase Alk2, dont la licence a été acquise en 2019 auprès de BluePrint Medicines. La leçon des déboires européens a été retenue : l’essai pivot en cours comprend cette fois un bras témoin sous placebo. « Cela va allonger considérablement la durée de l’étude », prévient David Loew. D’autant que l’essai avec le palovarotène avait mobilisé une part importante des patients atteints dans le monde… et que deux autres laboratoires, Regeneron et Incyte, sont également engagés dans cette indication avec leurs propres produits !
Même s’il estime disposer d’une solide avance, en cas de succès, Ipsen ne pense pas être en mesure de soumettre une demande d’homologation du fidrisertib avant 2027.
Julie Wierzbicki