Jazz Pharmaceuticals promeut son savoir-faire sur les cannabinoïdes

Alors que la France s’apprête à donner un accès de droit commun à toute une liste de médicaments à base de cannabis, Jazz Pharmaceuticals met en avant le haut niveau d’exigence auquel répond son propre médicament, entièrement produit en Angleterre. Pharmaceutiques a pu visiter son centre d’expertise.
C’est une serre pas comme les autres qui a pour la première fois ouvert ses portes à la presse française le 1er octobre dernier, au cœur du Kent Science Park (KSP) à Sittingbourne, à l’est de Londres. Ici sont cultivés, en agriculture biologique et en toute légalité, des centaines de plants de Cannabis sativa. La société basée à Dublin a acquis ces installations à l’occasion du rachat du laboratoire GW Pharmaceuticals en 2021. Elles constituent aujourd’hui le centre mondial de Jazz Pharma pour ses médicaments à base de substances cannabinoïdes, le tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD), extraits des feuilles et fleurs de la plante femelle de cannabis.
La serre du KSP abrite en outre une véritable « librairie génétique » de plus de 300 variétés uniques finement caractérisées, avec des profils chimiques différents, « qui permettront par exemple de sélectionner des plants résistants à des maladies », explique Ed Byrne, responsable de la sélection végétale.
Une production mondiale
De la culture des plantes à la mise en flacon des spécialités pharmaceutiques, toutes les étapes – sauf une – sont réalisées par Jazz Pharma au Royaume-Uni. Outre celle du KSP, l’entreprise dispose sur le territoire anglais de deux serres de capacité commerciale, pour une surface de culture totale de 64 acres (25,9 hectares). Toute la biomasse, conditionnée sous forme de granules, est adressée au KSP. Cette matière première végétale passe par différentes étapes de transformation (dont une décarboxylation pour améliorer la biodisponibilité) jusqu’à l’obtention d’un extrait raffiné. La cristallisation du principe actif, nécessitant l’usage de produits explosifs, ne peut en revanche être conduite au sein du KSP, trop proche d’une zone résidentielle. Elle est effectuée par un prestataire sur un autre site britannique – mais Jazz envisage de la réinternaliser dans ses installations de Villa Guardia, en Italie. Réexpédié au KSP, le produit cristallisé est additionné d’excipients et mis en flacon sous forme de solution buvable. « Le processus total dure environ 11 mois, dont trois mois pour la culture des plantes », indique Aaron Flaxman, responsable de production senior.
Le CBD et le THC entrent dans la composition de Sativex® (non remboursé en France), traitement de la spasticité liée à la sclérose en plaques. Ses droits commerciaux mondiaux sont détenus par Almirall, hors Royaume-Uni, Canada et Australie, où Jazz assure la commercialisation, en plus de la production pour le marché mondial.

Le CBD est en revanche le seul principe actif d’Epidyolex®, autorisé en Europe depuis 2019 dans le traitement des crises convulsives associées aux syndromes de Lennox-Gastaut (LGS) ou de Dravet, et depuis 2021 dans la sclérose tubéreuse de Bourneville, chez les patients âgés de deux ans et plus. « Ce sont des pathologies rares et graves, qui provoquent des encéphalopathies, et pour lesquelles il existe d’importants besoins non couverts : mettre à disposition des solutions contre ces maladies est l’ADN de Jazz Pharma », insiste Anne-Sophie Jean-Deléglise, directrice médicale France et Benelux. Depuis fin 2022, « Epidyolex® est la seule spécialité pharmaceutique à base de cannabidiol à bénéficier d’un remboursement de droit commun en France », rappelle Franck Cousserans, directeur général France et Benelux de Jazz Pharma. A la demande de la HAS, Epidyolex® fait actuellement l’objet d’une étude post-inscription dans laquelle plus de 200 patients sont déjà inclus.
Inquiétude sur les futurs « médicaments à base de cannabis »
« Spécialité pharmaceutique » est le terme que privilégie désormais le dirigeant pour distinguer Epidyolex®, issu du « circuit historique et sécurisé du médicament », par rapport aux « médicaments à base de cannabis » qui seront bientôt remboursés en France. Ces produits constitués de THC et/ ou de CBD seront évalués par la HAS, sur sollicitation ministérielle, au premier trimestre 2026 dans un cadre réglementaire spécifique d’« autorisation d’utilisation temporaire » (AUT) de cinq ans, dont les modalités doivent être précisées par décret. Ils seront indiqués comme traitement de dernière intention dans les douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles, les épilepsies pharmaco-résistantes (chez l’adulte ou l’enfant), la spasticité douloureuse liées à des pathologies du système nerveux central comme la sclérose en plaques, ou encore des « symptômes rebelles » liés au cancer ou dans des situations palliatives (1).

Selon Franck Cousserans, l’expérimentation conduite par l’ANSM depuis 2021 sur l’usage du cannabis médical visait à évaluer la sécurisation du circuit de distribution de ces produits, « mais pas leur efficacité ». Aussi se montre-t-il très inquiet quant à « ce choix fait par la France de créer un statut ad-hoc, moins exigeant » pour ces produits : « Cela risque de créer beaucoup de confusion ! » Et même d’être désincitatif pour les laboratoires pharmaceutiques qui envisageaient de se lancer dans des développements pharmaceutiques plus « robustes ».
Privilégier la mise à disposition
Au niveau global, Jazz maintient son engagement en neurologie (l’une de ses deux aires thérapeutiques phares avec l’oncologie), comme en témoigne le récent accord conclu avec le danois Saniona pour les droits exclusifs mondiaux d’un candidat (activateur du canal potassique) au stade préclinique dans l’épilepsie. Mais aucun nouveau développement n’est en cours ou prévu sur de nouvelles applications du CBD. Un investissement de 100 millions de dollars dans une nouvelle usine sur le Kent Science Park, annoncé en 2022, a été annulé pour cause de re-priorisation du pipeline, et aucun autre investissement n’est envisagé sur le site. « Les installations ont été bien dimensionnées pour le marché mondial et nous pouvons produire nos spécialités en quantité suffisantes pour répondre aux besoins », assure Franck Cousserans. Pour Anne-Sophie Jean-Deléglise, « nous avons aujourd’hui une réelle expertise dans les trois indications autorisées pour Epidyloex® et notre priorité est d’élargir sa mise à disposition sur les territoires non encore couverts. » Le médicament est actuellement approuvé dans plus de 40 pays.
Julie Wierzbicki
(1) Pour en savoir plus, ne manquez pas la prochaine web-conférence dédiée au cannabis médical organisée par Pharmaceutiques le 16 octobre prochain