Vaccination anticancer individualisée : le pari de Transgene

Conçu et produit dans ses locaux à Illkirch, le vaccin individualisé anticancer expérimental de Transgene est actuellement en phase II pour prévenir les rechutes chez les patients atteints d’une tumeur ORL (tête et cou). Alors qu’elle entame l’automatisation de ses installations, la société imagine déjà une usine modulable pour accompagner la commercialisation de cette thérapie atypique.
« Un patient, un cancer, un vaccin ». Ce triptyque résume l’approche de thérapie vaccinale individualisée anticancer à laquelle Transgene consacre aujourd’hui près des trois quarts de ses ressources. S’appuyant sur un partenariat engagé il y a sept ans avec le japonais NEC, spécialiste des technologies de l’information et de l’IA, la plateforme myvac® lui permet de concevoir des immunothérapies personnalisées à partir de l’analyse des mutations spécifiques de la tumeur de chaque patient (1). « Chaque cancer a une signature précise », a rappelé Alessandro Riva, CEO de Transgene, à l’occasion d’une visite organisée le 27 août dans les locaux de la société au sein du Parc d’Innovation d’Illkirch-Graffenstaden, dans la banlieue de Strasbourg. La stratégie est de stimuler le système immunitaire du patient en lui présentant une « carte d’identité » de sa propre tumeur, via un vecteur viral (MVA – Modified Vaccinia Ankara) exprimant ses néo-épitopes soigneusement sélectionnés. Le produit leader issu de cette plateforme, TG4050, en comporte une trentaine.
Des résultats de phase I positifs ont été présentés au congrès de l’ASCO en juin dernier dans la première indication retenue, les cancers de la tête et du cou HPV-négatifs opérables (stade précoce de la maladie) : après un suivi médian de 30 mois des 32 patients randomisés, aucune récidive n’avait été observée dans le bras traité par TG4050, contre trois dans le groupe contrôle. La société conduit actuellement une étude de phase II en France, au Royaume-Uni et en Espagne, l’inclusion des patients ayant été finalisée au début de l’été. Il faut compter un peu moins de trois mois entre la biopsie et la délivrance de TG4050 – durée pendant laquelle le patient reçoit le traitement adjuvant (post-chirurgie) standard : radio- et chimiothérapie.
De nouveaux process à inventer
La production d’un traitement sur mesure n’obéit pas aux mêmes contraintes qu’un médicament universel. De la conception du plasmide (avec l’ADN codant les néo-épitopes, permettant la transformation du vecteur viral) au conditionnement des doses en passant par la culture du virus dans des cellules aviaires : toutes les étapes de la préparation des lots cliniques sont réalisées par Transgene sur son site d’Illkirch, dans le respect des normes BPF (bonnes pratiques de fabrication). Les installations occupent une partie du sous-sol d’un bâtiment pré-existant – les surfaces de laboratoires ayant été réduites au profit des « salles blanches » – permettant de limiter l’investissement à environ 7 millions d’euros.

Deux zones de production distinctes permettent de réaliser deux lots en parallèle. La répartition en doses unitaires et leur conditionnement sont effectués dans une troisième salle. Le traitement d’un patient nécessite une vingtaine de doses, produites en une fois et dont les injections sont réparties sur une période d’un an. Pour l’heure, seule la répartition est automatisée, les appareils ayant été mis en fonction début 2025. « Alors que le conditionnement des médicaments nécessite généralement des automates de grande capacité, automatiser pour la production de petits lots représente un vrai défi ! », souligne Anaëlle Paillart, responsable adjointe de production. « Nous commençons par automatiser les étapes les plus coûteuses et complexes, ajoute Simone Steiner, directrice des opérations techniques. Mais à terme, nous devrons nous pencher également sur les tâches plus en amont, y compris la conception du virus modifié. »
Selon Simone Steiner, les installations actuelles seront suffisantes pour amorcer le programme de phase III. Un nouvel essai de phase I doit également être lancé dès la fin 2025 dans une deuxième indication. « Je suis convaincu du potentiel de myvac® pour prévenir le risque de rechute dans de nombreuses autres tumeurs solides à haut risque », affirme Alessandro Riva.
Une future usine « modèle »
En revanche, la production des lots pour un programme complet de phase III et au-delà, à l’échelle commerciale, nécessitera de nouvelles installations – et donc de nouveaux financements. Selon les dirigeants, il faudrait envisager la construction d’une usine sur chaque continent. L’usine européenne serait basée à Illkirch sur un terrain déjà acquis, attenant aux bâtiments actuels de Transgene : le feu vert pour le début des travaux dépendra des premières données de survie de l’étude de phase II, attendues à partir de 2027. « Nous imaginons une installation modulable, pour démarrer la production dans notre première indication de cancer ORL, et pouvoir l’élargir à d’autres indications, sur le modèle de ce qui a été fait pour les thérapies cellulaires CAR-T », expose Alessandro Riva. « Cette future usine devrait servir de modèle à l’international », ajoute Simone Steiner. Des partenariats avec des big pharma « ayant déjà une expérience des traitements individualisés » seraient privilégiés.
Julie Wierzbicki
(1) Pour en savoir plus, lire Pharmaceutiques 322 – décembre 2024 (page 43)