Les pistes de l’Académie des technologies pour « anticiper les crises »
Pour l’Académie des technologies, « improviser ne s’improvise pas ». Outre une meilleure prise en compte du facteur humain dans les modélisations épidémiologiques, elle prône le développement de plateformes prévisionnelles à usage quotidien, adaptables rapidement et à moindre coût en cas de crise.
Gérer une crise telle que la pandémie de Covid-19 appelle une « approche système » consistant à « observer, comprendre, décider et agir au bon moment ». Mais « pour être bien préparé, mieux vaut ne pas faire trop confiance aux outils développés dans le seul but de gérer les crises » : ainsi Albert Benveniste, chercheur émérite à l’Inria et membre de l’Académie des technologies, résume-t-il l’esprit du rapport co-rédigé avec Laurent Gouzènes (1), lors d’une conférence de presse de présentation organisée le 28 mai. « Un outil destiné à n’être utilisé qu’en cas de crise s’expose à tomber en obsolescence et à ne plus être opérationnel au moment où on l’en a besoin, explique le chercheur. Il faut au contraire s’appuyer sur des outils utilisés quotidiennement, qui n’auront besoin que d’être adaptés ».
Des outils préexistants et flexibles
Pour les auteurs, les exemples à suivre abondent chez les grands industriels des secteurs de l’énergie, de l’aéronautique ou de la défense, où il existe un continuum entre les outils de conception des systèmes et ceux utilisés dans la gestion de crise. Et, bonne nouvelle, la France est « particulièrement bien dotée » en la matière. Albert Benveniste cite ainsi l’exemple de Thalès, l’un des leaders mondiaux du secteur militaire, qui disposait déjà d’une plateforme digitale pour la gestion de situations de sécurité critiques : durant l’été 2020, celle-ci a été adaptée, dans le contexte pandémique, à la surveillance de clusters et à l’évaluation de différents scénarios. Ou encore celui de Dassault-Systèmes, dont les outils de modélisation multi-factorielle pour la conception d’avions ont été mis en application dans la région Grand Est, en collaboration avec l’université de Strasbourg, dès le printemps 2020, pour modéliser l’épidémie et son impact sur l’économie.
Outre un déploiement rapide et à coûts réduits, ce type de solution est, selon Albert Benveniste, particulièrement adapté à un travail collaboratif entre organisations peu habituées à communiquer entre elles. « La force de ces outils est d’être assez flexibles pour s’adapter aux organisations, sans les contraindre », ajoute le chercheur.
Intégrer les modèles comportementaux
Parmi les autres préconisations de leur rapport, les intervenants insistent sur la nécessité d’une meilleure prise en compte des aspects humains dans le développement des modèles épidémiologiques. Laurent Gouzènes rappelle la situation à l’époque du deuxième confinement en France à l’automne 2020 : deux semaines avant son entrée en vigueur, a été constatée une réduction des déplacements et de la présence sur le lieu de travail, ce qui selon lui a favorisé la décrue des entrées en réanimation, plus rapide que lors du premier confinement au printemps 2020.
Pour Gérard Roucairol, président du pôle numérique de l’Académie des technologies, il faudrait pouvoir « connecter le modèle de propagation du virus avec un modèle du comportement des populations face au virus, comportement qui aura lui-même un effet sur la propagation ». Ce type d’interactions est déjà exploité en économie, notamment dans la « théorie des jeux », développée par des mathématiciens français dans la deuxième moitié des années 2000. Pour mieux anticiper les crises sanitaires, la France aurait donc toutes les cartes en main, à condition de s’ouvrir aux approches pluridisciplinaires.
Julie Wierzbicki
(1) Le rapport de l’Académie des technologies est accessible ici.