Initiatives

L’esprit critique comme antidote aux dérives de la crédulité

Alors que les données sont de plus en plus accessibles, l’espace public est peu à peu grignoté par la fausse information. Pour contrer ces dérives et éclairer les esprits, le sociologue Gérald Bronner a tenu en ce printemps un cycle de conférences grand public à la Sorbonne, qui s’est clos hier soir dans la célèbre université.

« Jamais les données n’ont été aussi accessibles, jamais la désinformation n’a été aussi puissante ». C’est ainsi que le sociologue Gérald Bronner a ouvert son cycle de conférences des Universités de l’esprit critique sur les thèmes de la désinformation et des limites de la rationalité, à l’Université de la Sorbonne, en partenariat avec la Fondation Descartes. Il a d’abord mis en lumière les dangers de la désinformation dans notre société. « La surabondance d’informations, bien que bénéfique, crée une concurrence intense sur le marché des idées. En effet, 90 % de l’information aujourd’hui disponible a été produite au cours des deux dernières années », chiffre-t-il. Le professeur à la Sorbonne, également membre de l’Académie des technologies et de l’Académie nationale de médecine, a souligné l’importance de la modération sur les réseaux sociaux pour contrer la diffusion rapide de fausses informations. Ce phénomène est illustré par la loi de Brandolini qui veut que « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter une ineptie est supérieure à celle nécessaire pour la produire ». Il cite l’impact des militants antivax, qui – bien que peu nombreux – ont réussi à influencer l’opinion publique grâce à leur forte présence en ligne, et « malgré les preuves scientifiques contraires ». Cela a conduit à une baisse des taux de vaccination et à la résurgence de maladies évitables. Le sociologue a également mentionné l’effet de primauté, où la première information reçue laisse une trace durable, rendant difficile la correction des erreurs. A partir d’exemples, drôles et percutants, il illustre comment les raisonnements sont bien souvent biaisés, les interprétations d’images abusives ou comment l’on confond trop rapidement corrélation et causalité. « C’est ainsi que la diffusion du Covid-19 a été associée aux antennes 5G », conte-t-il, alors qu’il s’agit d’une simple corrélation avec les grandes villes.

Ne jamais sous-estimer la force d’un canard !

Les limites de notre rationalité

Le sociologue a exploré les limites de la rationalité humaine. Gérald Bronner a évoqué le « démon de Laplace », cet être fictif capable de tout prédire en connaissant les lois et conditions initiales de l’univers, pour illustrer les limites de notre connaissance et de notre croyance. Contrairement à ce modèle déterministe, l’homme est contraint à vivre avec sa condition humaine fondamentalement limitée. Il a présenté le régime de crédulité par délégation, où nos connaissances limitées nous obligent à faire confiance à des experts, notamment dans le domaine de la vaccination ou du climat. Le professeur Bronner a également abordé les nombreux biais cognitifs, tels que la négligence de la taille de l’échantillon et le phénomène de régression vers la moyenne. L’une des premières limites explorées est celle de la perception spatiale comme temporelle. « Nos prédictions reposent souvent sur une prédiction à l’identique : demain sera comme aujourd’hui, prévient-il. Si ce biais fonctionne bien dans la routine, il devient catastrophique face à des phénomènes à croissance exponentielle, comme les pandémies. » Il prend l’exemple de la « dinde inductiviste » de Bertrand Russell, l’induction étant un procédé logique qui consiste à établir une règle à partir d’une série d’expériences consécutives. « Nourrie chaque jour par le fermier, la dinde finit par croire à une loi bienveillante… jusqu’au jour de Noël ». L’expérience mathématique de Monty Hall, librement inspirée du jeu télévisé américain « Let’s Make a Deal« , a été utilisée pour démontrer les erreurs courantes de raisonnement. Ces biais ont des impacts très directs sur la santé publique. « Nous avons naturellement tendance à multiplier par 10 ou 15 les faibles probabilités et à sous-estimer les fortes, selon la courbe de Prelec. C’est ainsi notamment que des risques très rares associés à la vaccination vont faire davantage peur que ceux – sous-estimés – des maladies cardiovasculaires, bien plus mortelles. Cette même loi impose qu’il y ait toujours des joueurs de loto malgré les infimes probabilités de gain », observe-t-il. Gérald Bronner en appelle à une hygiène mentale rigoureuse, fondée sur la connaissance de nos propres limitations.

Selon l’angle d’observation, une même forme peut apparaître comme un cercle ou un carré, alors qu’elle est un cylindre.

La contamination du croire par le désir

La troisième conférence du cycle, tenue le 1er avril et ouverte par le philosophe des sciences Etienne Klein (1), a été consacrée au développement de l’esprit critique. Gerald Bronner a approfondi certains biais cognitifs. Par exemple le biais de confirmation et de disponibilité explique la tendance à chercher des informations qui confirment nos opinions, et à mémoriser plus facilement ce qui sert nos croyances. Il a ainsi analysé l’anatomie d’une rumeur, en prenant l’exemple du café prétendument cancérigène. « Les employés exposés à cette rumeur y croient davantage lorsqu’ils consomment peu de café, assure ainsi Gérald Bronner. Les buveurs réguliers rejettent, eux, massivement l’information, car elle heurte directement leurs habitudes et leurs intérêts. » Il revient sur l’effet placebo et nocebo, où une simple croyance suffit à déclencher des effets réels, positifs ou négatifs. Il cite l’exemple des antennes 3G supposément nocives de Saint-Cloud en 2009, « alors qu’elles n’étaient pourtant pas encore branchées lorsque les symptômes ont commencé à apparaître dans les populations ». Autre exemple : les descriptions de votre prénom, de votre horoscope du jour, ou de votre tableau astral s’appuient toutes sur ce qu’on appelle l’effet Barnum, c’est-à-dire sur des descriptions suffisamment vagues pour que tout le monde s’y retrouve. Gérald Bronner rappelle qu’ainsi un certain nombre de personnes se sont vu correspondre à la définition et aux symptômes associés aux personnes à haut potentiel. « Un nombre croissance de personnes s’est donc auto-diagnostiquée parce que la thèse est agréable et bien considérée, voire qu’elle justifie une souffrance. Alors même qu’un mauvais diagnostic ne les aiderait certainement pas. »

Vous pensez probablement que ces photos (à gauche) ont l’air normales, mais si vous les retournez, vous serez très surpris ! C’est ce qu’on appelle « l’effet Thatcher ».

Des techniques pour en sortir

Petit exposé du problème : « Une maladie qui touche une personne sur 1 000 peut être détectée par un test. Celui-ci a un taux d’erreur positives de 5 %. Un individu a fait un test ; son résultat est positif. Quelle est la probabilité pour qu’il soit effectivement atteint ? », interroge Gérald Bronner. « Spontanément, y compris dans une population de médecins, la réponse va être de 95 %, alors que la vérité est plus proche de 2 % », indique-t-il sous les yeux ébahis de son auditoire. C’est ce qu’il nomme la négligence des taux de base. Et il estime que le changement de cadrage, une reformulation de l’énoncé (2), permettrait à chacun de prendre le problème autrement. Le professeur Bronner a souligné l’importance de l’éducation à l’esprit critique pour contrer les effets néfastes de la désinformation et des croyances erronées… dès le plus jeune âge. Il estime nécessaire de « renforcer le système immunitaire intellectuel des enfants afin de préparer leurs esprits ». Le sociologue a appelé à une vigilance accrue, à une éducation renforcée et à une nécessaire pédagogie de l’erreur pour promouvoir une société plus rationnelle et informée. Et il appelle au retro-jugement de chacun.

Par Juliette Badina

(1) Etienne Klein sera l’une des 10 personnalités invitées l’année prochaine pour les Universités de l’esprit critique

(2) Une autre présentation de l’énoncé : « Parmi 1 000 américains, on en trouve en moyenne 1 atteint de la maladie X. Pour chaque millier d’américains en bonne santé, on trouve 50 personnes en moyenne qui sont positives à ce test. Imaginez que nous prenions 1 000 américains au hasard, combien, parmi ceux qui ont été positifs au test, ont-ils réellement contracté la maladie ? » Avec cette présentation, 76 % des sujets donnent la bonne réponse.

Liens vers les replays des conférences :

Gérald Bronner – Développer son esprit critique face au monde de la désinformation #1

Gérald Bronner – Développer son esprit critique face au monde de la désinformation #2

Gerald Bronner – Développer son esprit critique face au monde de la désinformation #3

Lien à venir pour la 4e conférence du cycle


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