Passeurs d’émotions
C’est à Beaubourg qu’ont été remis les prix Paroles et Talents de patients du Leem le 5 novembre. Le choix du Centre Pompidou ne doit rien au hasard : l’art est un vecteur d’émotion… une émotion que les nominés ont su exprimer et susciter chez leur public.
Introduisant la cérémonie, Thierry Hulot se réjouit de la longévité de ce prix. « Cette nouvelle édition permet de se rappeler que nous, les acteurs de santé, ne sommes là que pour une raison : accompagner le patient, le guérir si nous le pouvons, mais faire surtout qu’il aille mieux. C’est ce qui a motivé la création de ces prix : récompenser une œuvre qui illustre le parcours des patients sous toute forme d’art. » Le président du Leem a aussi tenu à souligner que le pays a la chance d’avoir un système de santé structuré, malgré ces imperfections et difficultés de fonctionnement.
« Les émotions, négatives comme positives, sont tout aussi fondamentales pour les soignants que pour les patients, car nous sommes un tout », a poursuivi Gérald Kierzek – médecin et directeur médical chez Doctissimo, avant de donner la parole au président du jury du prix littéraire. Alain Livartowski a rappelé l’importance des témoignages pour les patients, futurs patients, mais aussi les professionnels de santé : « Ça a changé ma pratique, mon écoute et la façon de m’adresser aux patients. »
Refermer un chapitre
Le jury aurait voulu attribuer un prix spécial en plus, tant les quatre derniers ouvrages en lice auraient mérité de triompher. Au bout de trois scrutins, Violaine Vim l’a remporté pour son livre « Patiente ». Tout ce qu’elle n’était pas avant la maladie. Mais celle qui vivait à 100 à l’heure a été clouée sur un lit de réanimation en février 2019 par un syndrome de Guillain-Barré. Ce journal de bord des cinq dernières années est illustré de ses propres dessins. Elle y raconte la maladie, son parcours, mais aussi les séquelles dont elle souffre toujours. « Vous avez su illustrer l’émotion, c’est un livre à lire et à regarder », a précisé le président du jury.
La lauréate rappelle qu’un de ses prédécesseurs et membre du jury, Claude Pinault, avait déjà écrit sur cette maladie. « Mais j’avais besoin de raconter mon histoire. Et celle-ci est illustrée, vécue par une femme avec un angle « pas de bol » », explique-t-elle. Elle fait en effet partie des 10 % de malades qui n’ont pu récupérer complètement après ce syndrome. « Ce témoignage m’a fait un bien immense. Je voulais le faire pour ne rien oublier, ne rien sublimer non plus. Mais surtout pour que mon fils, qui avait deux ans lorsque l’orage a éclaté, sache ce qu’il m’est arrivé, pourquoi nous avons dû être séparés », explique-t-elle.
Au fil des pages de ce récit littéraire et graphique, le lecteur suit Violaine en réanimation, en rééducation puis de retour chez elle. On rit de ses bons mots, partage ses peines et ses espoirs. On comprend sa douleur et sa souffrance, mais aussi sa joie à chaque petite victoire. Au-delà du parcours de soins, son cheminement est un véritable deuil, celui de sa vie d’avant la maladie. « Malgré moi je suis donc devenue une contemplative », écrit-elle. Cette récompense est pour Violaine une belle façon de refermer ce chapitre de sa vie.
Illuminer la vie des patients
« C’est un livre coup de poing », a salué Laurence Peyraut venue remettre le prix Talents de Patients. Décerné par les internautes, il met à l’honneur une autre forme d’art que la littérature. Pour cette 10e édition, c’est BAM le graffeur qui est récompensé. « Cet artiste a fait le choix d’illuminer la vie des patients et leur environnement. » Après ses débuts à Ivry, le graffeur a en effet voulu donner un sens à son art en travaillant avec des Ehpad ou des services de pédiatrie notamment. « Avec mes œuvres, douces et éloignées du graffiti de rue, je cherche à leur ouvrir une fenêtre pour leur faire oublier la maladie et la douleur. Je crée des paysages pour qu’ils puissent s’évader », explique-t-il. Pour conclure, la directrice générale du Leem a rappelé que le Centre Pompidou est un lieu de création et que l’art est inclusif : « s’intéresser à l’autre, c’est faire société. »
Aude Desombre