PortrAIt : mieux diagnostiquer et traiter les cancers grâce à l’IA
Lancé le 31 mars, le consortium PortrAIt est soutenu financièrement par les pouvoirs publics pour faire de la France un leader de la médecine de précision en pathologie numérique fondée sur l’intelligence artificielle.
L’examen d’un échantillon tumoral par un anatomopathologiste est quasiment un passage obligé de tout parcours de prise en charge d’un cancer. Même si elle concerne encore une minorité de laboratoires de pathologie, la digitalisation est en pleine accélération. Le consortium PortrAIt a pour objectif de développer de nouveaux outils d’IA appliquée à l’anatomopathologie – ou Pathomics – pour optimiser le diagnostic en cancérologie. Dans le cadre de France 2030, le consortium bénéficie d’un soutien de Bpifrance de 15 M€, pour un budget total de 33 M€ pour cinq ans.
Porté par la start-up franco-américaine Owkin, spécialisée dans l’IA appliquée à la recherche médicale, il associe la société française Tribun Health, experte de l’imagerie numérique, le groupe de pathologistes privés Cypath, ainsi que la fédération des centres de lutte contre le cancer Unicancer et deux de ces centres, Léon Bérard à Lyon et Gustave Roussy à Villejuif. Ce dernier abrite déjà des équipes d’Owkin. « PortraAIt est une belle illustration de la stratégie de développement de l’innovation que nous menons à Gustave Roussy, avec des résultats qui doivent pouvoir profiter aux patients le plus rapidement possible », souligne son directeur général, le Pr Fabrice Barlesi.
15 nouveaux outils d’ici cinq ans
Le projet sera structuré autour de deux plateformes, présentées par Meriem Sefta, directrice du diagnostic chez Owkin, lors de la conférence de lancement officiel du consortium organisée ce 31 mars à Gustave Roussy. Avec le PortrAIt Lab, « nous voulons créer un environnement de R&D facilitant le développement de nouveaux outils », explique-t-elle. Dans le cadre du consortium, l’objectif est de créer une quinzaine d’outils – avec de premiers marquages CE dès 2025. A terme, cette plateforme devra être ouverte à des start-up non-membres du consortium – par exemple celles qui auront intégré le Paris Saclay Cancer Cluster – pour qu’elles puissent entraîner et tester leurs propres solutions.
Un premier outil, fruit d’une collaboration entre Owkin et Gustave Roussy, est déjà en cours de développement dans la prédiction des risques de rechute chez les patientes présentant un cancer du sein localisé. Le modèle a été créé sur une cohorte d’entraînement puis validé grâce à la cohorte CANTO – constituée de longue date grâce au programme investissements d’avenir. « L’avantage de l’outil est qu’il peut être mis en œuvre sur la lame d’anatomopathologie la plus basique, produite pour toute patiente atteinte d’un cancer du sein, applaudit le Pr Fabrice André, directeur de la recherche de Gustave Roussy. Les approches de Pathomics vont permettre de faciliter le travail de l’anatomopathologiste et de détecter des biomarqueurs connus, mais nous pourrons aussi nous en servir pour découvrir des marqueurs prédictifs que l’on ne connaît pas encore : le développement du biomarqueur pourra ainsi être décorrélé des technologies de diagnostic. »
Les approches de Pathomics pourront être utilisées sur des lames d’anatomopathologie standard, telles que celles stockées par millions à Gustave Roussy : 250 000 lames y sont examinées chaque année.
Déployer l’approche en soin courant
Un autre axe fort du projet sera la création d’une « Marketplace » pour faciliter la diffusion de ces outils. « PortrAIt est un formidable moyen de démontrer l’utilité de l’IA… mais pour l’instant il n’y a pas de financement pour la digitalisation des laboratoires de pathologie privés, en dehors des hôpitaux », regrette Philippe Chalabreysse, directeur général de Cypath.
Comment ces outils d’IA s’inséreront dans les recommandations, quel sera leur modèle économique, comment adresser les enjeux réglementaires : les sujets de réflexion sont nombreux. « Le recours à l’IA comme support du diagnostic est encore quelque chose de relativement nouveau, même si des outils sont déjà utilisés en routine dans un contexte de recherche », observe Meriem Sefta. L’objectif final est bel et bien la création d’une filiale industrielle et un déploiement de ces technologies dans la pratique du soin courant, au-delà de la recherche.
A plus long terme, Fabrice André voit même dans ces nouvelles approches une possibilité d’aider les pays à plus faibles revenus à accéder à la médecine de précision. « Aujourd’hui, alors que beaucoup de thérapies ciblées sont génériquées, le frein est moins le coût de ces traitements que l’accès aux biomarqueurs nécessaires pour les utiliser à bon escient », explique-t-il. Le recours aux Pathomics permettrait ainsi de s’affranchir de technologies plus complexes… et plus onéreuses.
Julie Wierzbicki