Un hackathon contre le glioblastome
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A l’initiative d’Owkin et de Servier, plus d’une centaine d’experts en intelligence artificielle et en sciences biomédicales ont rivalisé d’imagination pour faire émerger de nouvelles pistes contre le glioblastome, un cancer très agressif, en s’appuyant sur des jeux de données multimodales exceptionnellement mis à leur disposition.
L’atmosphère est studieuse dans le salon d’honneur du Palais Brongniart à Paris. En cette veille de journée mondiale contre le cancer (4 février), plus d’une centaine de jeunes, venant d’une dizaine de pays, s’affairent en petits groupes, penchés sur leurs ordinateurs portables, un gobelet de café à portée de main. Les dix-sept équipes ont jusqu’au lendemain, 17h, pour proposer de nouvelles pistes pour lutter contre une tumeur cérébrale particulièrement agressive : le glioblastome.
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Si les hackathons internationaux sont fréquents dans la sphère de la tech, celui-ci serait le premier en France, et peut-être au monde, dans le champ de la santé, à être porté par un laboratoire pharmaceutique tout en étant ouvert à tous. Servier s’est associé à la société française Owkin, avec le soutien d’Amazon Web Services (AWS) et de 10X Genomics, pour organiser et financer l’évènement, dans le cadre du Sommet pour l’action sur l’IA, accueilli par la France les 10 et 11 février prochains.
Un cancer rare et mal compris
Tumeur cérébrale la plus fréquente chez l’adulte, le glioblastome reste un cancer rare, qui touche deux à trois personnes sur 100 000 par an en Europe et aux Etats-Unis. En France 3 500 personnes sont diagnostiquées chaque année. Il est malheureusement très agressif, avec une durée moyenne de survie inférieure à deux ans avec les traitements standards. « On ne connaît réellement pas grand-chose sur ces tumeurs et nombre de pharmas ont abandonné ces développements », déplore Thomas Clozel, CEO d’Owkin.
Servier fait partie des laboratoires investis contre les tumeurs cérébrales : son Voranigo® a été approuvé en août dernier dans deux formes de gliomes. « Mais il aura fallu 15 ans entre la découverte de la cible et cette autorisation, relate Claude Bertrand, vice-président R&D du groupe pharmaceutique. Et dans le glioblastome, malgré des centaines d’essais, aucun progrès notable n’a été enregistré depuis 25 ans. » Collaborant sur divers projets depuis 2017, Owkin et Servier misent sur l’intelligence artificielle pour réduire les cycles de développement des nouveaux médicaments, lutter contre le taux d’attrition très élevé, et surtout améliorer les connaissances.
Le pari de la confrontation d’idées
C’est Owkin qui a proposé au laboratoire français de co-organiser ce hackathon pour « craquer » le glioblastome en mettant à la disposition d’experts internationaux les meilleures données. « Au-delà de la technologie, l’interdisciplinarité de l’évènement peut faire émerger des idées totalement différentes de ce qu’on a vu dans le passé », espère Claude Bertrand. Quelques 130 candidats ont été retenus (spécialistes en médecine computationnelle, data-scientifiques, ingénieurs, cliniciens…), dont 30 % de femmes, parmi lesquels cinq collaborateurs de Servier. Durant ces deux jours, ils ont pu s’appuyer sur des outils précieux : un jeu de données multi-omiques de la cohorte glioblastome du projet MOSAIC porté par Owkin et les données spatiales multi-omiques de la base de données américaine BRUCE du Parker Institute for Cancer Immunotherapy. Ils ont également bénéficié des moyens de calcul et des modèles des fondations fournis respectivement par AWS et Bioptimus, partenaires de l’évènement. « Nous n’avions jamais eu affaire à ce type de jeu de données, mais nous avons pu travailler avec des personnes qui les comprenaient », témoigne Antoine, étudiant à CentraleSupélec, qui participait à son 3e hackathon. Avec ses deux camarades centraliens, ces trois spécialistes de l’IA se sont associés pour l’occasion à des chercheurs étrangers étudiant en France pour bénéficier de leurs connaissances sur le glioblastome.
De nouvelles hypothèses
Le lendemain soir, l’ambiance est festive malgré les traits tirés, juste avant la remise des prix aux lauréats. La cérémonie est clôturée par Clara Chappaz, ministre déléguée en charge de l’IA et du numérique. Claude Bertrand se dit « épaté par la quantité d’hypothèses qui ont pu émerger en si peu de temps ! Ce n’est pas juste un exercice d’utilisation des datas grâce à l’intelligence artificielle, c’est vraiment au bénéfice des patients. »
Trois équipes sont distinguées. Le prix Impact clinique a récompensé un projet de classification des tumeurs en unités fonctionnelles, au sein desquelles des cibles thérapeutiques spécifiques pourront être identifiées. Le prix AI Technology est attribué à une proposition d’intégration complexe de six modalités de données (contre deux dans la plus récente publication) pour exploiter le potentiel de MOSAIC. Enfin, le jury a décerné un prix spécial à l’équipe proposant « la meilleure combinaison de l’association de méthodes d’IA de façon originale avec l’utilité clinique et une très bonne utilisation des connaissances existantes », selon les organisateurs.
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L’équipe lauréate du prix spécial du jury, avec Céline Lefebvre (à droite), responsable de la médecine computationnelle chez Servier, membre du jury.
Les équipes gagnantes se répartiront chacune une dotation de 5 000 € et conserveront pendant trois mois l’accès aux bases de données et aux capacités de calcul pour consolider leurs projets. « Nous espérons qu’ils seront alors suffisamment matures pour donner lieu à la rédaction d’articles à soumettre dans des revues scientifiques, indique Hubert Chaperon, directeur des projets de croissance chez Owkin. Et nous encourageons toutes les équipes, pas seulement les lauréates, à publier leurs codes et résultats sur des supports appropriés. »
Julie Wierzbicki