Allergie : mission désensibilisation !
Lors de la table ronde « Allergie : mission désensibilisation ! » de la web-conférence organisée par Pharmaceutiques le 28 novembre dernier et dédiée aux maladies respiratoires, plusieurs experts se sont réunis pour discuter des défis et des avancées dans le domaine des allergies, à la fois en termes de santé publique, de formation des professionnels et de traitements.
Jean-Philippe Girard, directeur de recherche à l’Inserm (IPBS-CNRS/Université de Toulouse III-Paul Sabatier), a ouvert les discussions de cette table ronde dédiée aux allergies en soulignant l’importance de la qualité de l’air intérieur et en pointant du doigt les moisissures et acariens. Dans les minutes et les heures qui suivent l’exposition à un allergène de type moisissure, une protéine de la famille des alarmines est émise par les cellules de l’épithélium pulmonaire. Elle coopère avec d’autres molécules pour alerter le système immunitaire de la présence d’un allergène. Ce signal d’alarme stimulera l’activité de cellules immunitaires, qui déclencheront ensuite une cascade de réactions en chaîne responsables de l’inflammation allergique. « Ce processus d’inflammation joue un rôle crucial dans les maladies allergiques respiratoires. »
Interpellé sur l’impact des changements climatiques sur les allergies, Jean-Philippe Girard a expliqué que les saisons polliniques sont désormais plus longues et plus intenses, exacerbées par des orages plus fréquents. « Ces conditions aggravent la fréquence des maladies respiratoires », indique-t-il. Le Pr Laurent Guilleminault, pneumologue et allergologue au CHU de Toulouse, a poursuivi en décrivant l’augmentation des allergies chez les adultes. Il a mentionné l’effet synergique entre la pollution et le pollen, qui fragilise les voies aériennes et aggrave les symptômes allergiques. Selon les prévisions de l’OMS, d’ici 2050, une personne sur deux pourrait être allergique, ce qui souligne l’urgence de la situation.
Former davantage à l’allergologie
Un autre défi majeur abordé par les intervenants est la pénurie de médecins allergologues. Laurent Guilleminault, également membre du Collectif National Allergies, rappelle qu’« un certain nombre d’allergologues vont partir prochainement à la retraite, et qu’on ne remplace pas les départs avec les 20 nouveaux internes formés chaque année ». Il s’alarme même d’« une baisse vertigineuse du nombre de ces professionnels au cours des 20 dernières années, en contradiction avec l’augmentation du nombre de patients ». Dorian Cherioux, patient-expert et vice-président de l’association Asthme & Allergie, a insisté sur la nécessité de former davantage les professionnels de santé à cette discipline pour « ne pas laisser tous ces allergiques sur le bord de la route, parce que les conséquences au travail et à l’école sont importantes ». Face au manque de médecins dédiés, « mieux former en allergologie les professionnels de premier recours – médecins généralistes, pharmaciens et infirmières de pratique avancée (IPA) – est essentiel pour répondre à la demande croissante de soins », indique-t-il. Enfin, les intervenants ont mis en avant l’importance de la sensibilisation du grand public aux symptômes et aux traitements des allergies. Une campagne d’information via les mairies, les établissements scolaires ou les employeurs privés, pourrait être envisagée pour ne pas banaliser les symptômes comme le nez bouché au quotidien.
Des traitements, symptomatiques et curatifs
Plusieurs options thérapeutiques sont aujourd’hui disponibles et en développement. Les traitements symptomatiques, tels que les antihistaminiques et la cortisone par voie inhalée ou nasale, sont efficaces mais nécessitent une prise quotidienne, ce qui peut être contraignant pour les patients. « Seuls 40 % des asthmatiques poursuivent leur traitement à un an, s’alarme Laurent Guilleminault. Or, plus les patients sont suivis, plus forte est l’observance », fait-il remarquer. La désensibilisation allergénique par comprimés ou gouttes placés sous la langue, entrainant une tolérance du système immunitaire, est le seul traitement curatif. « Mais il demande un investissement sur plusieurs années », tempère le professeur. « Le coût des traitements et leur faible taux de remboursement limitent leur accessibilité alors même qu’ils améliorent la qualité de vie des patients », regrette Dorian Cherioux, qui s’inquiète de possibles nouveaux déremboursements. Jean-Philippe Girard a également évoqué les espoirs placés dans les biothérapies à base d’anticorps monoclonaux. « Bien que coûteuses, ces thérapies ont apporté des améliorations significatives pour certaines sous-catégories de patients », met-il en avant. Parmi elles figure le Dupixent® de Sanofi, qui inhibe la signalisation de l’interleukine 4 (IL-4), autorisé en 2019 en Europe dans le traitement de l’asthme sévère. « A ce jour, cinq biothérapies par injection ont apporté beaucoup de bénéfices à certains patients, indique Laurent Guilleminault. Mais le problème est leur coût, d’environ 10 000 euros par an ». La question se pose : quelle thérapie pour quel patient ?
Jean-Philippe Girard place ses espoirs dans les traitements à base d’alarmines qui « constituent une cible thérapeutique d’intérêt majeur ». Huit ou neuf essais de phase III dans l’asthme et la BPCO sont actuellement menés par Sanofi, AstraZeneca et Roche avec des résultats attendus en 2025 ou 2026, destinés aux patients souffrant de formes sévères d’asthme ou de BPCO. Il a souligné le besoin de soutenir davantage la recherche fondamentale et clinique sur l’asthme et les allergies, actuellement sous-financée en France. Il préconise également la création d’un institut national dédié à la santé respiratoire, comme c’est le cas pour le cancer ou les maladies infectieuses. « L’assurance maladie a son rôle à jouer et notamment parce que cela pourrait permettre de faire des économies sur le système de santé français », lance quant à lui Dorian Cherioux.
Juliette Badina