Après la crise sanitaire, quelle politique vaccinale ?
La première table-ronde du colloque « Informer, protéger, vacciner » de Pharmaceutiques, dédiée à la politique vaccinale en France, a permis de faire un bilan de la lutte contre le Covid-19, et de tirer les leçons de la crise pour continuer d’innover et d’avoir le plus grand impact possible sur les populations.
En introduction de ce colloque, le professeur d’immunologie Alain Fischer, ancien président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale Covid-19, est venu dresser le bilan de la politique dédiée. « La vaccination est assez vite apparue comme une arme contre ce drame sanitaire engendré par un virus démoniaque et ses variants, lesquels ont causé 17 à 18 millions de décès dans le monde, dont plus de 150 000 en France », pose-t-il d’emblée. Le développement rapide, en un an – après des décennies de recherche sur l’ARNm -, de vaccins efficaces et en quantités suffisantes pour immuniser environ 90 % de la population française avec un schéma à deux doses a certainement permis de sauver des millions de vie, même si cela est difficile à mesurer précisément. » Il cite un article publié dans Nature Human Behaviour montrant que l’espérance de vie a reculé de six mois en France en 2020 (un an aux Etats-Unis à titre comparatif) et que celle-ci a regagné cinq mois en 2021. « L’étude montre une très forte corrélation entre le taux de couverture vaccinale contre le Covid-19 fin 2020 et la récupération de l’espérance de vie en 2021 », applaudit-il. Le professeur Daniel Floret, vice-président de la Commission Technique des Vaccinations à la HAS, est venu témoigner de l’organisation de la HAS et des moyens qu’elle a dédiés pour répondre en urgence aux sollicitations des autorités afin de définir la place des sérums autorisés dans la stratégie vaccinale française.
Covid-19 : les limites du succès
Il n’en reste pas moins que le succès de la vaccination contre le Covid-19 n’est pas total. « Il y a d’abord une limite scientifique, puisque, même si elle est très efficace, elle protège davantage des formes graves que de l’infection elle-même, et sa protection diminue dans le temps, rappelle Alain Fischer. Par ailleurs, la vaccination n’a pas touché toutes les populations, notamment les plus démunis. » Il existe un gradient social et sanitaire en santé. Pour aller plus loin et toucher toutes les populations, « il faut faire de la pédagogie dès l’école », milite Alain Fischer, qui rappelle que la mise en place de la vaccination anti-HPV à l’école, dans d’autres pays, montre d’excellents résultats et un impact sur le nombre de cancers liés. Daniel Lévy-Bruhl, chargé de mission à la Direction de la prévention et de la promotion de la santé de Santé publique France (SPF), indique que des expérimentations dans des établissements scolaires sont en cours dans l’Hexagone. SPF met aussi en place différentes actions à destination des populations les plus précaires, avec des médiateurs de santé formés sur la prévention et le dépistage. L’immunologue ajoute également qu’une fraction minoritaire de la population conserve une défiance envers le gouvernement et ses politiques.
Capitaliser sur les acquis
Daniel Lévy-Bruhl observe une dynamique à la hausse des couvertures vaccinales en France, et pas seulement sur les vaccins obligatoires, depuis cinq ans. « Une remobilisation du ministère de la Santé et de l’Etat sur le sujet, notamment via la concertation citoyenne et l’extension de l’obligation vaccinale pour les nourrissons, a permis d’améliorer la couverture sur l’ensemble des vaccins, note-il. Et l’adhésion continue d’augmenter malgré la crise. » Il cite le seuil atteint de 95 % sur les sérums les plus anciens dédiés aux nourrissons, de très beaux progrès sur les couvertures des vaccins ROR (rougeole-oreillons-rubéole) et méningocoques B, une amélioration de la protection antigrippale malgré des taux encore loin de la cible de 75 %, et une bonne dynamique contre les HPV (Human papillomavirus). « Il existe une vraie volonté politique, et les choses vont dans le bon sens, observe David Lepoittevin, directeur Division Vaccins & Antiviraux de Pfizer France, qui a codéveloppé dans un temps record un vaccin à ARNm contre le Covid-19. Mais la crise a conduit à un phénomène de priorisation, au détriment d’autres développements, et à une certaine fatigue vaccinale. A nous d’innover, d’un point de vue thérapeutique, mais aussi sur l’éducation et la communication en fonction des profils de population. Il faut mettre les moyens de nos ambitions », conclut-il. Les professionnels de santé sont des acteurs majeurs de cette politique. « Entre les recommandations vaccinales et la perception qu’en a le grand public, les pharmaciens ont ainsi un rôle essentiel à jouer », assure Daniel Floret. « Leurs nouvelles prérogatives en matière de vaccination participent à une forme de « banalisation » de l’acte auprès des populations qui y ont un accès direct », complète Alain Fischer.
Juliette Badina
