Assises de l’Avenir / Le territoire, maillon fort de la prévention
Parent pauvre du système de santé, la prévention appelle à un changement de modèle économique. Et si le bon échelon pour agir était au niveau des territoires ? Un axe de développement et de mobilisation prioritaire pour les participants des Assises de l’Avenir.
Pour Emmanuel Rusch, praticien hospitalier en santé publique et président de la Société́ française de santé publique, la prévention est « un terme très français », qui se décline aujourd’hui sur trois niveaux : primaire, pour l’ensemble des actions empêchant l’émergence d’un problème de santé ou d’une maladie ; secondaire, au travers notamment du dépistage précoce ; et tertiaire, pour l’accompagnement d’une personne atteinte d’une maladie chronique, ce qui renvoie à l’éducation thérapeutique du patient (ETP). « Dans de nombreux pays, on préfère parler de responsabilisation (‘empowerment’) et de promotion de la santé » note-t-il. Ce qui englobe toutes les actions qui permettent de renforcer le pouvoir d’agir de chacun des citoyens et habitants d’un pays. Dans la pratique, cela se traduit par des actions de prévention, mais aussi plus généralement d’éducation pour la santé.
Un enjeu éthique plus qu’économique
« L’enjeu majeur est de maintenir la population en bonne santé le plus longtemps possible » précise-t-il. Un enjeu éthique plus qu’économique, en faveur de la qualité de vie, et « un investissement », selon Laurent Chambaud, directeur de l’EHESP. En France, les dépenses consacrées à la prévention représenteraient selon lui 1,8% de l’ensemble des dépenses de santé, l’équivalent de 5 milliards d’euros correspondant uniquement aux grands programmes de prévention nationaux. « La Cour des comptes rappelle que l’on arrive à 10 milliards supplémentaires simplement en afférant la part préventive de l’acte individuel. Mais cela ne recouvre pas la promotion de la santé » précise-t-il. Aujourd’hui, l’action doit être relayée au niveau européen. Laurent Chambaud rappelle ainsi le souhait de la Commission européenne de rendre obligatoire le Nutriscore, l’initiative française d’étiquetage des produits alimentaires, pour mieux informer le consommateur. Au niveau national, les efforts doivent se concentrer sur la formation et la recherche en santé publique. En parallèle, il y a un consensus sur l’action locale, même si les collectivités territoriales n’ont pas encore de prérogatives définies dans la promotion de la santé.
Donner les moyens et la connaissance aux collectivités
Phénomène social multifactoriel, la prévention requiert la mise en place d’un plan global d’actions pour Jean-François Thebaut, vice-président en charge du plaidoyer et des relations extérieures de la Fédération française des diabétiques. Les politiques publiques doivent agir le plus en amont possible, au travers de l’éducation nationale, et impliquer également la médecine du travail et l’ensemble des ministères. Il préconise notamment d’avoir « un budget sanctuarisé par ministère », comme pour la prévention routière ou encore l’écologie – avec un fonctionnement hors Ondam.
Pour les collectivités territoriales, un bon exemple à suivre est la ville de Strasbourg qui dispose de son propre programme et budget de santé, sur le modèle des municipalités au Danemark. « Strasbourg est entré dans le programme Changing Diabetes de Novo Nordisk, financé par la collectivité, impliquant les écoles, cantines ou encore les centres sportifs locaux, » précise Jean-François Thebaut. De son côté, Emmanuel Rush souligne que « des dispositifs intéressants se sont mis en place ces dernières années au travers des contrats locaux de santé qui permettent de mobiliser et d’impliquer les populations à l’échelle des territoires. »
En parallèle, les laboratoires pharmaceutiques s’investissent dans la prévention à plusieurs niveaux, selon Catherine Raynaud, Directrice des affaires publiques de Pfizer France. Il y a d’abord l’exemple de la vaccination, qui a montré son rapport coût-efficacité. L’industrie accompagne également les acteurs pour un meilleur dépistage. « Dans le cadre des maladies rares qui sont à 80% génétiques, nous sommes à 6 tests de dépistage néonataux en France, contre 40 à 50 dans les autres pays » pointe-t-elle. Un axe d’amélioration est de professionnaliser la capacité de dépistage pour installer les pratiques préventives et l’ETP auprès de tous les professionnels de santé. Une autre voie est l’accompagnement des patients chroniques pour prévenir notamment les effets secondaires et les rechutes. Cela contribue à une meilleure observance.
Réintégrer la relation de soins
Demain, l’enjeu est d’investir en recherche, dans l’innovation et dans les partenariats avec les startups pour développer des outils numériques, un levier fort pour la prévention. « Le numérique en santé va permettre, notamment via l’intelligence artificielle, de détecter un certain nombre d’habitudes comportementales afin de les rectifier. Et cela va dans le sens d’une meilleure prise en charge des patients » souligne Catherine Raynaud. Pour autant, Jean François Thebaut émet deux réserves quant à l’usage du numérique, qui ne doit pas « se substituer à la consultation en présentiel chez le médecins », ni « accroitre les inégalités. » « A l’avenir, il faudra réintégrer la dimension éthique et humaine dans la relation de soins, complète Laurent Chambaud. Dans le cadre de l’AMI sur le numérique en santé, nous allons former tous les professionnels au numérique et aux soins d’humanité. Il y a un besoin énorme de réfléchir aux fonctions des soignants dans les prochaines années. » Et il est nécessaire de conforter les acteurs locaux dans leurs missions de santé : professionnels de santé au sens large, associations, acteurs du médico-social et du social. « Pourquoi ne pas créer un observatoire de ces métiers émergents pour faciliter les conditions d’exercice dans le sens de la prévention. C’est là qu’il y a tout à faire, » conclut Emmanuel Ruch.
Marion Baschet Vernet