Bioproduction : un retard… rattrapable ?
Entre financement, reconnaissance des expertises et attractivité, les experts réunis lors des Assises de l’avenir ont exposé leurs problématiques spécifiques et les enjeux communs à adresser pour faire de la France un leader international de la bioproduction.
La bioproduction est l’un des principaux axes du plan Innovation Santé 2030 annoncé en juin 2021 par le Président de la République Emmanuel Macron. Il prévoit 800 M€ d’investissements pour tenter de rattraper le retard français à la matière, à l’heure où 96 % des nouveaux médicaments biologiques sont fabriqués hors de France. Ce nouvel élan politique a déjà trouvé une première traduction avec le lancement officiel en décembre dernier de l’association France BioLead, nouveau pilote de la filière française.
Pour son directeur général Laurent Lafferrere, s’exprimant lors de la troisième table ronde des Assises de l’avenir organisées à PariSanté Campus le 20 mars dernier (1), « l’innovation est l’un des piliers de la bioproduction », du fait de la nature des biomédicaments eux-mêmes et de par les processus à mettre en œuvre ou encore la gestion de la donnée. Or « tout l’aspect technologique qui sous-tend l’innovation est mal valorisé, ce qui contribue à siloter le système académique : c’est un vrai problème culturel en France, déplore Christophe Junot, directeur du département Médicaments et technologies pour la santé, unité mixte CEA / Université Paris Saclay / Inrae. Il faut parvenir à créer un écosystème intégré, où tous les acteurs se connaissent et partagent la même culture, de la recherche fondamentale à la maturation. »
Mieux accompagner l’innovation technologique
De ses rencontres avec les acteurs de terrain, Laurent Lafferrere a identifié deux enjeux majeurs : la nécessité d’anticiper au plus tôt cette industrialisation et de mettre autour de la table tous les acteurs de la chaîne de valeur pour faire émerger des solutions. France BioLead a installé des groupes de travail pour aider à « générer cette innovation et s’assurer qu’elle soit industrialisable ». Un autre écueil est la complexité réglementaire. « Entre OGM, micro-organismes, toxines… il n’est pas toujours simple de savoir à quoi l’on doit se référer ! Pour chaque aspect cela signifie des dossiers à remplir et un délai de réponse. Il faut vraiment être très bon pour convaincre nos clients étrangers que ça vaut tout de même le coup de travailler avec nous ! », rapporte Marc Meichenin, co-fondateur et directeur scientifique de Clean Biologics, groupe vendéen proposant des services de développement, de production BPF de produits viraux et de contrôle qualité pour les acteurs biopharmaceutiques.
Alors que la filière française commence tout juste à se structurer, les acteurs établis ont un rôle important à jouer auprès des jeunes entreprises « Nous participons à l’ambition de France BioLead, en accompagnant les sociétés biotech de la lignée cellulaire jusqu’à la production de lots cliniques de phase I, II ou III », rapporte Herbert Guedegbe, directeur de la production du LFB à Alès, l’un des quatre sites (tous dans l’Hexagone) du groupe français, spécialisé dans les produits hospitaliers. Celui-ci a aussi su faire preuve d’agilité au cours de la pandémie de Covid-19. « Nous avons répondu à un appel à manifestation d’intérêt, et en quelques mois nous avons réussi à construire une toute nouvelle unité de production, ce qui nous a permis d’accompagner les sociétés orientées sur le développement de médicaments anti-Covid-19 », relate-t-il. L’unité est aujourd’hui utilisée pour d’autres produits hors Covid-19.
Revaloriser les métiers de la filière
« Les efforts académiques doivent aussi absolument être soutenus », insiste Christophe Junot, rappelant que ce sont de ces unités qu’émergent les prochaines grandes innovations, comme les vésicules extracellulaires. Tout progrès technologique permettant d’augmenter les rendements – en amont au niveau des lignées cellulaires et en aval sur les étapes de purification – pourrait contribuer à réduire le coût final des produits. L’ensemble de l’écosystème est à mettre à contribution, y compris les équipementiers. Si les appels à projets peuvent aider les équipes à avancer sur les preuves de concept, « ce n’est qu’à partir de la phase III que l’on peut monnayer ce que l’on a développé : il faut réussir à passer ce cap », souligne Marc Meichenin. Pour Hubert Guedegbe, « la capacité disponible est un réel facteur d’attractivité : à un moment ou un autre, la seule solution est de pousser les murs, on a besoin de beaucoup plus d’espace qu’aujourd’hui ! » « Les usines ne se construiront pas à Paris… il y a des opportunités à saisir en région ! », assure Laurent Lafferrere, saluant la dynamique et la créativité françaises, illustrées par des sociétés comme TreeFrog en Nouvelle-Aquitaine.
Autre nécessité : attirer les talents ou faire revenir ceux qui se sont expatriés. Et pour cela, leur offrir des opportunités. Les participants en appellent à une revalorisation de la formation des docteurs, qui peuvent être de véritables atouts dans le secteur industriel, mais aussi des techniciens qualifiés, que l’on peine aujourd’hui à recruter. Les industriels sont plus que jamais invités à faire connaître leurs besoins de court terme, pour ajuster les formations en conséquence.
« Nous avons la chance de vivre un moment où les investissements dans la santé en France sont tout à fait inédits : notre responsabilité est de nous saisir de tous ces outils pour en tirer le meilleur profit », a engagé Antoine Tesnière, directeur général de PariSanté Campus, en conclusion de la matinée.
Julie Wierzbicki
(1) Evènement organisé en partenariat par Pharmaceutiques et Asterès, avec le soutien d’AbbVie, du LFB et de Pfizer