Cancers féminins : le pouvoir de la donnée
Une exploitation plus fine des bases de données pourrait améliorer la connaissance des différents cancers féminins. Mieux structurées, elles pourraient également optimiser le diagnostic et le suivi des patientes, notamment grâce au développement de l’intelligence artificielle.
Les progrès thérapeutiques ne feront pas tout. Les cancers féminins sont marqués par de fortes inégalités sanitaires, souvent aggravées par des facteurs socio-économiques et géographiques. Les experts réunis par Pharmaceutiques sont formels : le sujet doit être traité sous un nouveau jour pour atténuer les pertes de chance des patientes. Favorisée par l’essor de l’intelligence artificielle, cette transformation exige un croisement plus large des expertises et une exploitation plus fine des données de santé. « La solution ne viendra pas uniquement des médecins et des biologistes. Il nous faut miser sur l’interdisciplinarité pour changer réellement la donne. La chimie, la physique ou encore les sciences humaines et sociales peuvent nous permettre de mieux comprendre les différentes maladies, mais aussi de mieux les prendre en charge », affirme Amaury Martin, directeur adjoint de l’Institut Curie, qui entend créer une structure entièrement dédiée aux cancers féminins, en partenariat avec Paris Sciences et Lettres, le pôle universitaire regroupant l’Ecole normale supérieure, les Mines, Paris-Dauphine ou encore les Beaux-Arts.
Promouvoir de nouvelles approches
Possible lauréat de l’appel à projets IHU 3, actuellement en phase finale de sélection, l’Institut Curie affiche trois grandes ambitions : comprendre l’impact des spécificités de l’horloge biologique des femmes sur les cancers à tous les âges, prendre en compte les pathologies dans leur globalité et apporter des réponses innovantes. En association avec des patients et leurs proches, un Living Lab sera notamment installé pour « innover dans les usages » et constituer « une base de données multidimensionnelle » sur tous les cancers féminins. « La profondeur et l’exhaustivité des données recueillies seront des paramètres déterminants », prévient Amaury Martin. Au-delà de ses savoir-faire traditionnels, comme l’ultra-caractérisation moléculaire, l’Institut Curie dit travailler sur des approches novatrices, dont une interconnexion entre ses dossiers patients et le SNDS. La méthode se veut simple et efficace : analyser la consommation médicale sur un temps long pour prévenir les rechutes et anticiper les complications évitables. « Ce suivi longitudinal pourrait être particulièrement utile pour circonscrire les risques inhérents au cancer du sein hormono-dépendant », illustre François-Clément Bidard, oncologue médical à l’Institut Curie* et PU-PH à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Une étude thématique pourrait être prochainement lancée via le Health Data Hub.
Concrétiser les promesses technologiques
Certaines avancées récentes en témoignent : l’intelligence artificielle pourrait révolutionner le diagnostic des cancers. Elle pourrait également offrir de nouvelles opportunités sur le plan biologique, en permettant notamment aux chercheurs et aux cliniciens de dépasser le stade du micro-environnement tumoral. Plusieurs étapes critiques devront toutefois être franchies pour concrétiser le potentiel décrit. Comme le souligne François-Clément Bidard, ces solutions technologiques devront d’abord démontrer leur efficacité. Elles devront ensuite être massivement diffusées pour améliorer durablement l’accès aux soins et réduire significativement les inégalités de prise en charge. Les promesses entrevues ne se limitent pas à la seule cancérologie, mais la problématique demeure identique. « La structuration des bases de données sera un prérequis essentiel pour optimiser la performance des algorithmes qui nécessitent un entraînement poussé », confirme Raphaëlle Taub, co-fondatrice et directrice générale de Matricis.ai, qui développe un logiciel d’aide au diagnostic radiologique de l’endométriose, en facilitant la lecture des images obtenues par IRM. La proposition de valeur de ce futur dispositif médical est pour le moins attrayante : gagner du temps, limiter les erreurs et augmenter la précision de la décision clinique. Trois écueils majeurs dans cette pathologie très largement sous-diagnostiquée.
Jonathan Icart
NB : ces propos ont été recueillis durant la troisième table ronde du colloque sur la santé de la femme, organisé par Pharmaceutiques le 28 mars dernier.
(*) Le Pr François-Clément Bidard est également co-coordonateur de la recherche sur le cancer du sein à l’Institut Curie.