Cancers : pourquoi réduire l’exposition aux pollutions ?
Facteurs aujourd’hui reconnus de l’apparition et de la progression de nombre de cancers, les agents polluants et notamment les perturbateurs endocriniens sont de plus en plus étudiés. Mais ils ne sont pas encore assez pris en compte dans les politiques de prévention en santé, selon les intervenants du colloque Santé & Environnement.
La pollution de l’air et les polluants chimiques sont aujourd’hui la première cause de mortalité dans le monde, devant le tabagisme et l’alcool : telle est la conclusion d’une étude parue dans The Lancet en juin dernier et rappelée par le Dr Pierre Souvet, cardiologue et président de l’Association Santé Environnement France (ASEF), à l’occasion du colloque Santé & Environnement co-organisé le 28 septembre par Pharmaceutiques et Be-Concerned. Selon lui, ces données démontrent qu’une politique de prévention fondée sur des comportements individuels (moins d’alcool et de tabac et plus d’activité physique), toute bénéfique qu’elle soit, ne saurait suffire « puisque nous sommes en permanence exposés à une multitude de produits. Il faut introduire l’aspect environnemental dans la formation des acteurs de santé, des élus et des urbanistes », plaide-t-il.
Des effets délétères tout au long de la vie
« Des facteurs environnementaux peuvent provoquer des modifications épigénétiques, qui elles-mêmes participent à la survenue ou à l’augmentation du risque de cancer », souligne Feryal Ghouadni, vice-présidente Head of social responsability d’Ipsen. Un champ d’exploration dans lequel le laboratoire pharmaceutique français s’est résolument engagé, avec le rachat en août dernier de la société américaine Epizyme, qui développe des thérapies innovantes en se fondant sur cette approche.
Particulièrement surveillés, les perturbateurs endocriniens (PE) ont été définis en 2002 par l’OMS comme substance ou mélange de substances altérant les fonctions du système endocrinien. Ils constituent un élément primordial de l’exposome, l’ensemble des facteurs externes auxquels un individu est exposé depuis son développement in-utero et tout au long de sa vie. Et ils sont de plus en plus pointés du doigt dans la survenue mais aussi dans l’aggravation de certains cancers, même si en la matière les questions sont à ce jour plus nombreuses que les certitudes. Des corrélations ont déjà été établies avec l’apparition de cancers hormono-dépendants (cancers des gonades, thyroïde, sein, endomètre…) « Mais quel est leur rôle dans les cancers pédiatriques ? Peuvent-ils être un facteur favorisant pour tous les cancers ? » s’interroge le Dr Patricia Rannaud-Bartaire, secrétaire générale de l’Association française des pédiatres endocrinologues libéraux.
Si certains PE ont des propriétés mutagènes et carcinogènes reconnues, d’autres agissent indirectement, par exemple en empêchant le foie d’exercer correctement son rôle de « détoxifiant ». Il a même été démontré in vitro, sur des lignées cellulaires de cancer du sein, que l’exposition au bisphénol A pouvait réduire l’efficacité d’une chimiothérapie.
Manque de données territoriales
« Certains contaminants peuvent modifier directement nos gènes ou leur régulation, avec des effets néfastes possibles sur plusieurs générations », affirme Patricia Rannaud-Bartaire. Sans compter qu’une exposition à certains facteurs peut perdurer tout au long de la vie, avec un effet d’accumulation. Des programmes de biosurveillance des populations, de plus en plus développés aux niveaux national ou européen, permettent d’observer au cours du temps l’apparition des maladies en fonction des expositions. Mais les données manquent au niveau territorial. « Comment faire une politique correcte sans ces données ? », s’interroge Pierre Souvet, qui s’agace que les quelques registres existants ne soient pas utilisés comme des outils de surveillance, d’alerte ou d’action. Patricia Rannaud-Bartaire propose même d’accompagner la mise en place de registres régionaux de campagnes de mesures des PE ou d’autres polluants. « Les techniques de dosages se sont nettement améliorées, avec une meilleure fiabilité et un coût qui diminue, constate-t-elle. C’est possible mais cela demande un engagement de différents acteurs sur le terrain ». « Il faut redonner des moyens aux ARS et à Santé publique France sur ces sujets », insiste Pierre Souvet.
Une approche préventive et curative
S’il est nécessaire de réduire le plus possible l’exposition des populations les plus vulnérables (notamment les femmes enceintes et les jeunes enfants) pour diminuer ou retarder les maladies chroniques, les PE doivent aussi, selon Patricia Rannaud-Bartaire, être pris en compte dans une approche curative. « Quand une maladie chronique ou un cancer apparaît, il n’est certainement pas trop tard pour agir sur ces facteurs d’exposition, puisqu’on sait qu’ils peuvent impacter l’effet d’une chimiothérapie ou aggraver l’évolution naturelle de la pathologie, et préparer à d’autres cancers par la suite. »
En tant qu’interlocuteur privilégié des populations, avec une parole perçue comme légitime, les professionnels de santé sont en première ligne. Le réseau ÎSÉE (IdF Santé Environnement) rattaché à l’Observatoire régional de santé Ile-de-France et fédérant 123 membres représentant toutes les parties prenantes, a notamment pour ambition d’accompagner la transition vers un système de santé plus préventif. Il propose ainsi un appui aux professionnels de santé qui veulent devenir des acteurs de la prévention en santé environnementale. « Nous avons par exemple créé un guide sur la qualité de l’air intérieur, pour que le professionnel puisse aider le patient à agir sur la qualité de l’air dans son habitat, pour éliminer certains symptômes persistants », explique Célia Colombier, chargée de mission du réseau ÎSÉE. De son côté, Patricia Rannaud-Bartaire a créé le site www.lesperturbateursendocriniens-mamaison.com, un outil « très pragmatique et très simple », pour identifier les PE au domicile.
Julie Wierzbicki