VIH : la quête des patients invisibles
L’éradication programmée du VIH reposera avant tout sur une politique de dépistage optimisée. Des actions ciblées devront être rapidement menées, notamment auprès des populations défavorisées. La stratégie anti-Covid pourrait avoir valeur d’exemple.
Le progrès thérapeutique ne suffira pas. Les experts réunis par Pharmaceutiques sont formels : le dépistage sera un levier décisif pour éradiquer le VIH. « La détection précoce de la maladie a une incidence directe sur son pronostic, en termes de morbidité et de mortalité. Plus le traitement est initié tôt, plus l’espérance de vie augmente… au point de devenir semblable à celle de la population générale », confirme Sophie Grabar, épidémiologiste à l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique. Individuel, le bénéfice est aussi collectif avec le ralentissement concomitant de la circulation du virus, en partie liée à la disparition de la charge virale chez les patients efficacement traités. Plébiscitée par l’OMS, cette stratégie est néanmoins compromise par des réalités économiques, sociales et culturelles.
Des causes multifactorielles
D’après les dernières données communiquées par Santé publique France, 25 000 personnes ignorent leur séropositivité. Variables selon les communautés et les territoires, les causes sont multifactorielles. « Le déni, la peur et la méconnaissance sont trois raisons majeures. Une chose est sûre : le risque infectieux est sous-estimé par la plupart de nos concitoyens », affirme Christine Katlama, infectiologue à la Pitié-Salpêtrière et co-découvreuse du VIH-2. Plusieurs freins devront être levés pour réduire les diagnostics tardifs. Dans certaines populations fragiles et isolées, la santé n’est pas une priorité. La crainte du jugement est également à considérer. « Certains individus refusent catégoriquement de se faire dépister. Ils ne veulent pas être stigmatisés ou discriminés. Pour beaucoup, cette pathologie est synonyme de mort sociale et d’exclusion », rappelle Seynabou Ndiaye Diagne, chargée de mission en santé publique chez Ikambéré, une association qui intervient principalement dans les milieux défavorisés.
Cibler, éduquer et sensibiliser
Perfectibles, la compréhension et la mesure du phénomène seront essentielles pour adapter les politiques publiques. « La connaissance épidémiologique permettra de mieux cibler les patients concernés », relève Sophie Grabar. Une fois identifiés, la partie ne sera pas gagnée pour autant. « Il faudra casser les représentations de cette maladie, quitte à employer des moyens détournés pour aborder le sujet. Le choix des arguments sera déterminant pour convaincre les plus réticents », prévient Seynabou Ndiaye Diagne. Pour libérer la parole et susciter le réflexe du dépistage, un accent particulier devra être porté sur la « confidentialité du secret biomédical ». Autre impératif de taille : éduquer et sensibiliser plus largement les Français, y compris les plus jeunes d’entre eux. « La santé sexuelle doit être dédramatisée et démocratisée », pointe Christine Katlama, qui plaide notamment pour l’instauration de consultations de prévention dédiées. Tendance révélatrice du vide à combler, plus de la moitié des étudiants ne connaissent ni la PrEP ni la PPE.
L’exemple du Covid-19
A l’instar de la lutte contre le Covid-19, la méthode « aller vers » devra être privilégiée. « La solidarité et l’empowerment seront deux facteurs clefs pour atténuer les pertes de chance », assure Seynabou Ndiaye Diagne. Outre le financement renforcé des relais de proximité, le recours au dépistage devra être systématisé. « Profitons des habitudes prises pendant la crise pour banaliser, simplifier et diversifier les modalités d’accès », suggère Christine Katlama. Polymorphe par essence, la quête des patients invisibles passera naturellement par des actions de grande ampleur. « Les laboratoires pharmaceutiques devront prendre toute leur place dans cet ouvrage collectif – au-delà des traitements – en collaborant étroitement avec les différentes parties prenantes et en soutenant activement les initiatives les plus pertinentes », souligne Philippe Bonnard, directeur médical « hôpital » de MSD France. Selon Santé publique France, le taux de dépistage du VIH est estimé à 86 %. Un chiffre encourageant, mais toujours inférieur aux objectifs fixés par l’Onusida.
Jonathan Icart
NB : ces propos ont été recueillis à l’occasion de la deuxième table ronde du dernier colloque organisé par Pharmaceutiques.