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Douleur : des parcours à construire

Plus de dix ans après la fin du dernier plan national douleur, les intervenants au colloque de Pharmaceutiques dressent le constat d’un maillage du territoire performant mais insuffisant, fragilisé par les tensions en ressources humaines, et d’un lien ville-hôpital à renforcer.

Enjeu de santé publique majeur, la douleur chronique a jadis été reconnue comme telle par les pouvoirs publics. Trois plans nationaux successifs lui ont été dédiés entre 1998 et 2010, a rappelé Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, en ouverture du colloque de Pharmaceutiques organisé ce 25 mai (1). Des plans qui ont été porteurs « d’avancées très importantes » et ont notamment permis de commencer à mettre en place, à travers tout le territoire, des structures dédiées à la prise en charge de la douleur chronique, constituant « un maillage unique en Europe », souligne le Pr Valeria Martinez, cheffe de service anesthésie réanimation à l’Hôpital Raymond Poincaré (AP-HP) et présidente de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD). On dénombre aujourd’hui 277 « structures douleur » labellisée par les ARS, pluridisciplinaires avec au moins un médecin, un psychologue et un infirmier. Ces centres, situés à 75 % dans des établissements publics, prennent en charge « les douleurs les plus complexes, les plus réfractaires »… et ne couvrent finalement qu’environ 1,5  % des patients souffrant de douleurs chroniques (population estimée à 20 millions en France), « quand il faudrait pouvoir en accueillir 5 % », indique le Pr Martinez. Celle-ci rappelle les résultats d’une enquête conduite par la SFETD, présentés en novembre dernier, qui montrent toute la fragilité et les menaces qui pèsent sur la pérennité de ces centres, en particulier à cause du vieillissement de la population médicale. Leur financement, assuré au titre de la « mission d’intérêt général » (MIG), « reste stable » (76,6 M€ pour 2023), c’est-à-dire « insuffisant par rapport aux besoins », alors que les délais d’attente s’allongent, en particulier en pédiatrie : seuls 6 % de ces centres y sont dédiés.

Pr Valeria Martinez, cheffe de service anesthésie réanimation de l’Hôpital Raymond Poincaré (AP-HP) et présidente de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD)

Mobiliser la ville et l’hôpital

Pour mieux orienter les patients douloureux chroniques et permettre une prise en charge plus rapide, la HAS a publié en début d’année un guide « parcours de santé », élaboré en partenariat avec la SFEDT. Il se construit sur trois niveaux : le médecin traitant et les équipes de soins primaires en ville (niveau 1), les consultations d’évaluation et de traitement de la douleur chronique et des services hospitaliers de spécialités (niveau 2), et les centres d’évaluation et de traitement de la douleur chronique (niveau 3). « Dans le cadre de ce parcours, nous proposons la création d’un nouveau service, une interface qui serait portée par les structures de proximité, et qui proposerait un soutien aux médecins de ville pour prendre en charge des personnes dans des situations de plus en plus complexes, expose le Dr Albert Scemama, chef de projet au service évaluation de la pertinence des soins et amélioration des pratiques et des parcours de la HAS. C’est un parcours en devenir, qui nécessitera la mobilisation des médecins de ville et à l’hôpital, des tutelles, des associations de patients… et des moyens. »
Une démarche similaire est déjà engagée en Ile-de-France par l’Association Ville Hôpital-Lutter contre la douleur (LCD), financée par l’ARS. « Ce réseau a été fondé pour favoriser le lien ville-hôpital, la montée en compétences des équipes de premier recours, les échanges et partages d’expertise entre professionnels », expose Mélanie Delattre, infirmière coordinatrice au sein de l’association. « On ne peut pas avoir de structure douleur chronique partout », reconnaît le Dr Martine Vivier-Darrigol, conseillère médicale offre de soins et santé publique de l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Depuis trois ans, l’ARS porte une dynamique de « permanences avancées », adossées à des établissements de santé ou des sites de proximité, où les professionnels peuvent venir proposer des consultations. « Dans le cadre du comité de pilotage douleur, nous avons défini un cahier des charges régional pour qu’il y ait le plus de proximité possible », explique-t-elle, tout en soulignant les difficultés en matière de ressources humaines médicales et paramédicales.
La HAS a aussi produit une nouvelle grille d’évaluation du patient douloureux chronique en ville, et un auto-questionnaire que le patient peut remplir avant son rendez-vous. « Des échelles d’évaluation de la douleur existent, mais la question n’est que rarement posée par les professionnels, sauf les infirmiers, alors qu’elle devrait l’être par tous ! » déplore Françoise Alliot-Launois, présidente de l’AFLAR (association française de lutte anti-rhumatismale). Alors que la démarche d’une consultation chez le médecin généraliste devrait selon elle être « la porte qui s’ouvre sur un parcours », celui-ci n’a guère le temps d’aborder cet aspect avec son patient.

Plaidoyer pour une prise en charge globale

« Nous sommes à un moment charnière, où il nous faut réinterroger nos politiques de prise en charge, leur donner un nouvel élan, consolider les organisations, encourager et accélérer la recherche », a reconnu Agnès Firmin Le Bodo. Une réponse doit selon elle être apportée dans le futur plan décennal national pour la prise en charge de la douleur et pour les soins palliatifs, annoncé le 3 avril dernier par le président de la République Emmanuel Macron. Un rapprochement avec le débat sur la fin de vie qui suscite certaines inquiétudes chez les intervenants du colloque, considérant que la douleur chronique peut concerner tout un chacun – y compris les nouveau-nés.
Alors que dans le précédent schéma régional de santé de l’ARS Nouvelle-Aquitaine, la douleur était intégrée dans un ensemble avec les soins palliatifs, le nouveau schéma pour les cinq ans à venir devrait intégrer « un chapitre spécifique pour la douleur chronique à tous les âges de la vie », déclare Martine Vivier-Darrigol. « Nous travaillons aussi à un plan de prévention de la douleur chronique, dont nous espérons la publication en 2024, afin de porter des actions de prévention à tous les niveaux de la prise en charge et dans tous les domaines, y compris auprès des populations les plus vulnérables. » L’éducation thérapeutique du patient joue un rôle absolument crucial. Un programme d’ETP, validé par l’ARS IdF, a par exemple été mis en place par l’association LCD « pour aider le patient à mieux comprendre sa douleur et mieux vivre avec », résume Mélanie Delattre.
Auteur de Libérons-nous de la douleur, le neurochirurgien Marc Lévêque plaide pour une approche holistique du patient douloureux chronique. « Les professionnels devraient pouvoir prescrire autre chose que des médicaments, parfois addictifs et qui n’apportent pas forcément de solution », insiste-t-il, mettant en garde contre la tentation de « médicaliser la misère sociale comme aux Etats-Unis ». Parmi les solutions alternatives, il évoque par exemple les techniques de neuromodulation, « qui donnent d’assez bons résultats, notamment sur les douleurs neuropathiques centrales » mais pour lesquelles il n’existe pas encore de modèle économique.
Les différents intervenants plaident pour la création d’une spécialité médicale dédiée à la douleur alors qu’actuellement, comme le rappelle Valeria Martinez, les étudiants ne bénéficient que de dix à quinze heures de formation en deuxième cycle sur le sujet… couplé aux soins palliatifs.

Julie Wierzbicki

(1) Colloque organisé avec le soutien de Grünenthal, Upsa, l’Institut Analgesia et Remedee Labs

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