Douleur : les bons traitements aux bons patients
Alors qu’aux États-Unis on déplore une crise sanitaire induite par la surconsommation de médicaments opiacés, l’objectif en France est de prévenir cette situation en favorisant leur bon usage. Le colloque de Pharmaceutiques dédié à la douleur y consacre une table-ronde.
La HAS a émis en mars 2022 ses recommandations pour le bon usage des opiacés qui doivent permettre d’éviter tout risque de mésusage et par conséquent d’addiction chez un patient. « La consommation est stable en France, entre 11 et 12 millions de patients ont au moins une prescription chaque année, a indiqué le Pr Nicolas Autier, chef du service de pharmacologie médicale et du centre d’évaluation et de traitement de la douleur du CHU de Clermont-Ferrand, lors du colloque du 25 mai de Pharmaceutiques dédié à la douleur. Les inquiétudes de surconsommation sont assez localisées et limitées. » Nicolas Naiditch, sociologue, a rappelé à ce titre l’importance des inégalités sociales de santé dans le développement et l’évolution de la douleur chronique.
Toutefois, les décès et les hospitalisations liés à une surdose augmentent, même si ces chiffres restent très loin des dizaines de milliers de cas aux États-Unis. Les addictions aux opioïdes concernant 8 à 10 % des patients qui souffrent d’une douleur non cancéreuse, le professeur Autier estime nécessaire d’émettre des recommandations pour éviter une surutilisation de ces composés et de continuer à y avoir accès. Le Dr Nathalie Lebrec, cheffe du département Anesthésie-Douleur au sein de l’institut de cancérologie de l’Ouest à Angers, confirme en effet qu’« il existe de très bonnes indications thérapeutiques des opioïdes. Il faut être vigilants aux fausses informations véhiculées dans la presse qui peuvent conduire à des refus de traitements par les patients », estime-t-elle, reconnaissant que le domaine de la cancérologie est assez protégé de ces croyances. Avec 380 000 nouveaux cancers diagnostiqués chaque année en France, pour lesquels 50 à 66 % des patients auront des douleurs, dont 10 % réfractaires, la prescription des opioïdes reste une nécessité.
Sortir du « zéro douleur »
Pour Nicolas Authier, également
membre de la Fondation Institut Analgesia, il faut sortir du dogme du « zéro douleur » car l’objectif
n’est pas toujours atteignable, et privilégier
la qualité de vie du patient. D’ailleurs,
« les patients ne revendiquent pas forcément cet objectif, commente
Nicolas Naiditch. Ils cherchent davantage à sortir des effets indésirables des
traitements médicamenteux et à retrouver leurs capacités fonctionnelles et
sociales. » « Le temps de consultation est important pour
recueillir leurs souhaits, complète Laurent Calvel,
chef du service de soins d’accompagnement, de soins de support et de soins palliatifs
des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Et cela nécessite des ressources. »
« Nous travaillons beaucoup sur l’acceptation de la douleur
chronique par des stratégies non
pharmacologiques, indique Nicolas Autier. Cela implique une réorganisation de la médecine. » Les centres antidouleur disposent de
psychomotriciens, de psychologues et d’assistants sociaux, mais sont sous-calibrés pour s’occuper de tous les patients suffisamment tôt.
Il estime à six mois d’attente
environ avant d’entrer dans ces
structures. Avec la mise en place des
CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé), il espère que les patients vont bénéficier d’une approche pluridisciplinaire
en aval et que les centres dédiés pourront
accueillir les patients pour un avis spécialisé.
« Il faut continuer la sensibilisation de tous les professionnels de santé
sur la question », estime ainsi Nathalie Lebrec. Y
compris dans le domaine des soins palliatifs, qui n’est pas une discipline
ordinale. « Le patient doit avoir des relais de sa prise en charge là où
il est, il faut donc une augmentation du nombre de professionnels formés aux
soins palliatifs tout au long du parcours », assure Laurent Calvel.
À Clermont-Ferrand, l’équipe Inserm Neuro-Dol met en place des outils
numériques pour accompagner le parcours de soins du patient douloureux au
quotidien. « Nous suivons une cohorte de 1 700 patients en vie réelle afin d’évaluer scientifiquement ces
dispositifs médicaux qui ont vocation à être remboursés ». Nicolas
Naiditch, également responsable des projets chez MoiPatient, a rappelé le rôle
absolument central de l’expérience patient et des associations pour faire
évoluer les prises en charge.
Poursuivre la recherche
Des efforts de recherche pharmacologique doivent encore permettre l’optimisation des opioïdes pour dissocier l’effet thérapeutique des effets indésirables. Dans le domaine du traitement de la migraine, pathologie fréquente avec 17 % de la population concernée (dont 2 % présentent des migraines chroniques) et 10 % des enfants, les innovations thérapeutiques sont attendues également. « Alors qu’il n’y a eu aucune révolution pour les patients depuis les triptans dans les années 90, rappelle le Dr Christelle Creac’h neurologue et cheffe de service du centre d’évaluation et traitement de la douleur du CHU de Saint-Étienne, des anticorps monoclonaux arrivent sur le marché. » Les gépants sont des antagonistes du récepteur CGRP, un agent inflammatoire très présent dans le processus de la migraine. Il s’agit d’une nouvelle classe de médicaments pouvant être utilisés en tant que traitement de crise ou en prévention pour espacer les crises. Utilisés depuis quelques années aux États-Unis, l’ubrogépant et l’atogépant font leur arrivée progressive en Europe. « Nous attendons le déblocage des négociations sur le prix/remboursement pour un accès en France », décrit Christelle Creac’h. En parallèle, la recherche doit se renforcer sur des approches non-médicamenteuses contre la douleur.
Juliette Badina