Du coût à l’investissement : changer le regard sur la santé
Investir davantage à tous les niveaux, adopter une culture de l’innovation, mettre à profit les expériences, casser les silos et privilégier une vision globale : les intervenants de la deuxième table ronde de la web-conférence des Assises de l’Avenir ont proposé des pistes pour améliorer l’attractivité de la France et les perspectives de croissance de ses entreprises healthtech.
Investir dans l’industrie de la santé plutôt que la considérer comme un coût : un renversement de vision pour lequel Didier Veron milite depuis toujours. Intervenant lors de la 2e table ronde de la web-conférence des Assises de l’Avenir, co-organisée par Pharmaceutiques et le cabinet de conseil Asterès, le président du G5 Santé dénonce la « vision comptable » qui a prévalu jusqu’alors, et le niveau de régulation sur les prix qui impacte selon lui la compétitivité des entreprises françaises. Il plaide pour une « augmentation massive » de l’enveloppe des produits de santé dans le cadre de l’Ondam, lequel doit devenir pluriannuel. Une politique interministérielle est nécessaire, englobant notamment les efforts de recherche. « Tous les industriels ont besoin de travailler avec la recherche publique : l’Etat doit y mettre les moyens », insiste Didier Veron. L’agence européenne HERA, inspirée de la BARDA américaine, constitue l’une des réponses à cet enjeu, mais « elle doit être mise en œuvre rapidement, avec des moyens financiers massifs ».
Le défi du financement de la croissance
Côté dispositifs médicaux, « le secteur souffre d’une absence de grande stratégie nationale, regrette Sacha Loiseau, président et fondateur de Mauna Kea Technologies et vice-président de MedTech in France. Contrairement par exemple à la Défense, l’Etat n’est pas un grand donneur d’ordre dans ce domaine, et nos entreprises ne peuvent pas s’appuyer sur la demande publique. » Les difficultés d’accès au marché français contraignent les entreprises à s’internationaliser très tôt, ce qui demande beaucoup de capitaux… difficiles à trouver en France ! « Le système, aujourd’hui peu favorable à l’acceptation de l’innovation, doit être prêt à prendre des risques mesurés, non pas sur la santé des patients mais au plan financier, des risques qui peuvent être partagés. »
La France a fait de grands progrès sur la création et le financement d’amorçage. Aujourd’hui « 95 % du tissu français des medtechs est constitué de TPE ! » relève Pierre Moustial, associé-fondateur de Lauxera Capital Partners. Selon lui, les investisseurs sont extrêmement frileux vis-à-vis du financement de la croissance et du capital-développement, une étape où l’EBITDA est encore négatif. « Nous n’avons pas en France de fonds réellement spécialisés dans la croissance des medtech, on en compte peut-être cinq en Europe alors qu’il y aurait de la place pour 50 ! ». Toute entreprise du secteur ayant des ambitions mondiales se doit de viser le marché américain, « qui représente 80 % du marché mondial », or « nous manquons de dirigeants ayant cette expérience outre-Atlantique ».
Intégrer les innovations dans l’écosystème
Dans le champ de la santé numérique, le problème vient du « manque de vision globale des donneurs d’ordres sur l’ensemble de la chaîne de valeur », déplore Chahra Louafi, directrice du Fonds d’investissement Patient Autonome de Bpifrance. La vision de l’évaluation peut aussi diverger. « Il faut assez tôt pouvoir dé-siloter, créer un maillage entre les entrepreneurs et leurs clients, et adresser le marché avec une proposition de valeur forte. » Une difficulté est que les investisseurs rechignent à « défricher » et préfèrent reproduire des schémas et s’appuyer sur des référentiels déjà éprouvés ; or les perspectives de remboursement des outils numériques en santé sont encore extrêmement floues. Ces innovations ne doivent pas être considérées isolément de leur environnement, notamment hospitalier, mais au contraire être intégrées.
Cette vision globale peut exister au niveau des territoires. « Nous portons un double regard sur la santé, avec la dimension innovation et la dimension préservation des déterminants de santé », souligne Carole Doucet, cheffe du service santé et silver économie du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine. Et pour attirer les entreprises de santé, les régions doivent leur offrir le meilleur écosystème pour s’épanouir.
Julie Wierzbicki