Endométriose : une meilleure reconnaissance politique et sociétale
Entre stratégie nationale, propositions de loi, progrès attendus dans le diagnostic et réflexion sur l’impact professionnel, l’endométriose est aujourd’hui considérée comme un véritable enjeu de santé publique et de société, comme en témoignent les intervenants à la web-conférence de Pharmaceutiques sur la santé des femmes.
Précisément décrite dès 1860 mais intégrée au programme des études de médecine depuis 2020 seulement, et ne faisant pas l’objet d’une recherche thérapeutique active, « l’endométriose est une pathologie emblématique » de la façon dont la médecine considère la santé des femmes, selon Muriel Salle, historienne à la faculté de médecine et Sciences-Po Lyon, introduisant la web conférence organisée par Pharmaceutiques le 28 mars sur cette thématique (1). En cette journée mondiale de lutte contre l’endométriose, la première table ronde a d’abord permis de rappeler quelques données clés sur cette affection, « qui concerne au moins 10 % des femmes de la puberté à la ménopause, soit environ 2 millions de femmes en France », rappelle le Pr Philippe Descamps, chef de service gynécologie obstétrique au CHU d’Angers.
Récemment, la sphère politique s’est emparée du sujet. Confessant « ne pas connaître la maladie » avant son élection, le député des Vosges Stéphane Viry y a été sensibilisé par une de ses administrées et a à son tour voulu « mettre ce sujet dans le radar des politiques » en déposant une proposition de loi visant à faire de l’endométriose une « grande cause nationale » en 2021. La thématique a finalement été reprise au plus haut niveau de l’Etat, avec l’annonce en janvier 2022 par le Président Emmanuel Macron d’une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose, effectivement lancée dès février. Celle-ci a notamment conduit à la création de filières de soins régionales, dont la filière Endoref Pays de Loire présidée par Philippe Descamps, qui permettent notamment d’harmoniser les pratiques des centres de référence préexistants qui maillent le territoire.
Plaidoyer pour une inscription en ALD
Plus récemment encore, une proposition de loi visant à reconnaître et protéger la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail a été déposée. Mais lors de son examen en commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale ce 27 mars, la mesure visant à instaurer un « congé menstruel » pour les femmes concernées – une mesure déjà en vigueur en Espagne – a été rejetée. Si cette proposition illustre bien « le virage qui est en train d’être pris », selon Stéphane Viry, aucun des participants à cette table ronde ne soutenait cette disposition controversée.
Axelle Ayad, elle-même diagnostiquée d’une endométriose il y a dix ans, fondatrice et présidente de MaPatho, plaide plutôt pour que les patientes puissent être reconnues comme souffrant d’une affection longue durée (ALD 31), ce qui répondrait au même objectif que le congé menstruel en termes de suppression des jours de carence et permettrait en outre une meilleure prise en charge financière des soins. « L’endométriose répond tout à fait aux critères d’inscription en ALD », confirme Philippe Descamps. Cette demande incombant au médecin traitant, la difficulté est « d’en trouver un qui connaisse la pathologie », observe Axelle Ayad. L’application MaPatho – couvrant un vaste champ de maladies chroniques mais dont la moitié des utilisateurs sont des femmes souffrant d’endométriose – vise à répondre à ce besoin en proposant notamment un annuaire des professionnels de santé (médecins et paramédicaux) formés à la pathologie.
Un espoir contre l’errance diagnostique
Alors que les solutions thérapeutiques se limitent encore essentiellement à la chirurgie ou au traitement hormonal, des progrès sont à souligner dans le champ du diagnostic, avec la mise au point d’une signature de l’endométriose fondée sur l’analyse des micro-ARN, par la société française Ziwig. Le service de Philippe Descamps à Angers, ainsi que des centres à Paris et Lyon, ont contribué au développement de ce test salivaire, Endotest®, « qui permettrait de réduire une errance diagnostique de sept ans en moyenne dans les délais développés, à un délai de dix jours ! », s’enthousiasme le praticien. La HAS en a reconnu la validité scientifique et a proposé sa mise à disposition dans le cadre du forfait innovation. Une dernière large étude auprès de 3 000 participantes doit être lancée cette année, en vue d’une prise en charge de droit commun à partir de 2025. Son positionnement dans le parcours doit encore être précisé, les représentantes de patients réclamant qu’il puisse être proposé en première intention.
Des conditions de travail encore inadaptées
Au-delà de la prise en charge médicale, Florence Chappert, responsable du projet « Genre, égalité, santé et conditions de travail » à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de vie au travail (Anact), insiste sur la nécessaire sensibilisation des managers en entreprises et une adaptation des conditions de travail, des objectifs et des délais imposés. « 65 % des femmes atteintes d’endométriose déclarent un impact délétère sur leur travail », rapporte-t-elle, décrivant une pénibilité des fonctions statiques, une baisse de la capacité de travail, une fatigabilité accrue… « Il y a un grand risque de désinsertion professionnelle », pointe-t-elle. Et d’autres pathologies chroniques sont concernées, comme la fibromyalgie, le cancer du sein ou encore la sclérose en plaques. « Sur tous ces sujets, nous recommandons la mise à disposition de données sexuées, le développement de recherches sur l’impact du travail sur la santé et réciproquement, et une plus grande collaboration entre les médecins du travail et les médecins traitants ».
Julie Wierzbicki
(1) Evènement organisé avec le soutien de Boston Scientific et en partenariat institutionnel du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et de l’Association des gynécologues obstétriciens en formation (AGOF)
Crédit photos Eric Durand
« Les savoirs médicaux d’aujourd’hui se sont construits sans les femmes »
Muriel Salle, historienne à la faculté de médecine et Sciences-Po Lyon
« La santé des femmes repose sur des réalités biologiques mais aussi sur une forte diversité de situations psycho-sociales », a souligné l’historienne Muriel Salle, invitée à introduire la web-conférence de Pharmaceutiques. Une des clés de la compréhension des discriminations dont souffrent encore les femmes aujourd’hui est à rechercher dans la représentation des femmes au 19e siècle : considérées comme « d’éternelles malades », il était jugé inutile de chercher à les soigner. « Aujourd’hui encore certaines de ces inégalités anciennes persistent. Jusqu’à il y a encore une vingtaine d’années, la médecine était considérée comme une profession d’hommes. Et même si l’on compte aujourd’hui une majorité d’étudiantes dans les facultés, les femmes n’ont pas été partie prenante dans la construction des savoirs médicaux qui sont transmis aux étudiants. » Ainsi par exemple, ce sont les symptômes masculins qui sont décrits lors d’un cours sur la crise cardiaque, tandis que ceux des femmes, lorsqu’ils sont évoqués, sont présentés comme des exceptions à la norme. Pour autant, « les professionnels de santé d’aujourd’hui ne sont pas responsables des savoirs construits antérieurement… mais il faut les encourager à les interroger, et en particulier à considérer ce qu’ils ne savent pas. Car ce sont ces « trous dans la raquette » qui constituent des pistes d’innovation. » Même si des disparités perdurent en fonction des pathologies, la part des femmes dans les essais cliniques a ainsi beaucoup progressé, en particulier en France.