Expérience patient : le chaînon manquant de la régulation
L’expérience des patients n’est pas suffisamment reconnue, ni même considérée par les instances de régulation des produits de santé, en dehors du champ spécifique des maladies rares. Explications.
Le constat ne souffre aucune contestation. Les patients ont une conscience aiguë, une conception fine, voire une expertise avertie de la maladie. Très largement sous-exploitée, cette compétence est partiellement reconnue, faute de véritable statut. « Nous manquons de légitimité vis-à-vis des praticiens, des institutions et des cinquante millions bien portants qui ne nous connaissent pas ou très peu », regrette Eric-Jean Salat, patient advocacy adviser et consultant en affaires publiques. Malgré les nombreux dispositifs existants, leur ressenti ne fait pas non plus partie des critères retenus pour évaluer et tarifer les produits de santé. « La HAS doit mieux prendre en compte certaines interfaces critiques de la prise en charge, comme la qualité de vie et la charge mentale de la maladie, dans ses délibérations. Le CEPS aussi ! », confirme Léonie Gerbier, responsable des affaires publiques de la Fédération française des diabétiques. Indépendamment des sensibilités de chacun, les experts réunis par Pharmaceutiques s’accordent sur un point : les désidératas des patients devront être mieux considérés, tant par les instances de régulation que les industries de santé, ne serait-ce que pour réduire les impacts de la non-adhésion aux traitements, dont les coûts atteignent trente-trois milliards d’euros par an.
Une contribution inexploitée
Longtemps absents, les outils et les méthodologies de recueil de cette expérience patient se déploient progressivement. A l’image des PROMs ou des PREMs, certains indicateurs permettent notamment de mesurer la qualité des soins perçue par les usagers en termes de résultat et de vécu. Depuis huit ans, leurs associations représentatives peuvent également transmettre des contributions écrites pour éclairer la décision des experts de la CT ou de la CNEDiMTS. « Ces éléments sont parfois cités dans les discussions, mais ils ne sont jamais mentionnés dans les avis rendus », tempère Jean-François Boyer, cofondateur de RWEality. Rarement exploités, ces travaux doivent néanmoins être systématisés et professionnalisés, mais… « Toutes les structures associatives n’ont pas le temps ni les moyens de remplir ces questionnaires exigeants », relève Léonie Gerbier. Particulièrement chronophage, cet exercice dure vingt heures, en moyenne. Autre évolution souhaitée : les préférences des patients devront être davantage prises en considération par les autorités sanitaires, notamment dans le cadre des études dites DCE. « Cette expérience de choix discret pourrait compléter et enrichir les protocoles de recherche clinique, mais ces études sont complexes, coûteuses et peu reconnues par la HAS », souligne Jean-Francois Boyer, qui réclame des « leviers incitatifs » pour motiver et encourager les industriels dans cette voie. Une chose est sûre : les ASMR et les ASA délivrées devront mieux refléter ces différents aspects, y compris lors des phases de réévaluation des produits de santé, pour avoir une réelle incidence sur leur prix.
Un exemple probant
Dans le tableau décrit, les maladies rares dénotent. Autorités de santé, industriels du médicament, communautés scientifiques et médicales, associations de patients… Les coopérations entre les parties prenantes sont souvent organisées très en amont du processus de décision. Les besoins et les attentes des usagers sont également mieux assimilées. « Plus le coût du traitement journalier est important, plus tôt nous sommes impliqués dans les discussions, car les enjeux économiques ne sont pas neutres pour les fabricants, les régulateurs et les payeurs. La moindre erreur est interdite », commente Eric-Jean Salat. Autre caractéristique notable : la diversité des pathologies concernées et leurs impacts singuliers exigent un suivi prolongé, mais aussi des données de vie réelle probantes pour étayer les suppléments de valeur apportés par et pour les patients. « Leur retour est littéralement indispensable pour affiner et optimiser les traitements disponibles, en particulier dans le domaine des maladies rares, dont les effets varient tout au long du parcours de vie. Il faut les écouter et leur proposer des solutions globales qui améliorent significativement leur quotidien », assure Alessia Usardi, directrice des affaires corporate de Kyowa Kirin France, non sans évoquer deux grandes priorités en matière de collaboration : la pluridisciplinarité et la co-construction. « L’expérience patient doit être mieux documentée et mieux reconnue dans les mécanismes de régulation des produits de santé, que ce soit avant ou après la mise sur le marché. » Le postulat ne se cantonne pas aux maladies rares. Il vaut pour toutes les pathologies, tous les traitements et tous les patients.
Jonathan Icart
NB : ces propos ont été recueillis durant la troisième table ronde du colloque sur l’expérience patient organisé par Pharmaceutiques le 5 juin dernier.