La donnée, un levier de citoyenneté en santé
Si les citoyens ne sont pas fermement opposés à la réutilisation de leurs données de santé, peu sont conscients du bénéfice qu’elles peuvent apporter à la recherche médicale. À l’heure des infox et des crises sanitaires ou démocratiques, une culture scientifique notamment autour de la donnée, doit être mise en place pour rendre au citoyen sa place dans le débat.
Après le diagnostic assez sévère fait en 2018 dans le rapport Pon (1) / Coury (2) sur le retard de la France dans le numérique en santé, la vaste stratégie « Ma Santé 2022 » lancée en avril 2019 porte ses fruits. « Le bilan réalisé en août 2022 (rapport Fait(s)) montre l’étendue des avancées pour se doter d’une doctrine claire en matière de données de santé, pour adopter des principes éthiques au niveau européen en e-santé, et pour alimenter « Mon espace santé » de quelques 10 millions de documents chaque mois, constate avec succès Raphaël Beaufret, co-responsable du Numérique en Santé au ministère de la Santé et de la Prévention, en introduction du colloque de Pharmaceutiques dédié aux données de santé. Avec plus de 20 fois le niveau d’il y a un an, nous sommes proche de l’objectif fixé à fin 2023, de 300 millions de documents alimentés chaque année dans l’espace numérique citoyen. » La nouvelle feuille de route « Mettre le numérique au service de la santé« , axée sur la prévention, l’amélioration de la prise en charge et l’accès à la santé, doit notamment permettre une meilleure information des Français. La donnée constituera-t-elle un levier pour la citoyenneté en santé ? Comment impliquer davantage les citoyens dans l’usage de ces données ? Ce sont les questions auxquelles la première table-ronde a tenté de répondre le 19 juin à Future4Care.
Libérer la donnée tout en la protégeant
« Les patients ne sont pas réfractaires ni hostiles à la réutilisation de leurs données, mais ont peu connaissance du bénéfice pour la recherche et peuvent se montrer désintéressés », estime Arthur Dauphin, chargé de mission numérique en santé à France Assos Santé. C’est également la conclusion de la Conférence de consensus organisée début avril par le Health Data Hub (HDH), France Assos Santé et PariSanté Campus, avec 70 citoyens. « Le HDH a mis en place une direction citoyenne dont l’objectif est d’embarquer la société civile, pour permettre à chacun d’être acteur de l’utilisation de ces données pour la recherche », indique sa directrice Caroline Guillot, qui rappelle la nécessaire information des personnes de la réutilisation de leurs données de santé. La Fédération Française des Diabétiques (FFD) a ainsi été la première association de patients à déposer un projet de recherche auprès du HDH, avec pour objectif d’identifier les facteurs associés au recours à la télémédecine des personnes diabétiques pendant l’épidémie de Covid-19 en 2020. Elle se positionne ainsi comme pionnière de l’analyse des données de santé des patients par les patients. « En parallèle, nous proposons des formations citoyennes aux données de santé, selon trois premiers axes : le système national des données de santé (SNDS), les entrepôts de données de santé (EDS) et la santé environnementale », complète-elle.
La confiance passe par l’usage
Rappelant que le sujet est celui de l’usage, David Petauton, directeur de la communication à l’Agence du Numérique en Santé, précise que « depuis son ouverture en novembre 2022, « Mon espace santé » propose une vingtaine d’applications référencées, qui ont répondu à plus de 150 critères d’interopérabilité, d’éthique et de sécurité. Le catalogue de services va continuer à s’enrichir », assure-t-il. « Nous avons réglé les problèmes d’infrastructures, avec des bonds importants pendant la crise du Covid-19, observe Eric Bothorel, député des Cotes-d’Armor. Il faut continuer à travailler sur les freins humains et culturels qui seraient des obstacles à l’utilisation de ces données. » Face au constat du manque de culture scientifique en France, Christian Deleuze, président du Healthcare Data Institute, appelle à une grande campagne de communication qui utiliserait les mêmes outils que ceux de la désinformation, notamment les réseaux sociaux. « Donnons aux citoyens une culture scientifique relative aux données », insiste-il. Le député propose d’aller plus loin avec « un consentement présumé pour la donnée de santé, proche de celui du don d’organe ». Pour Nathalie Schmidely, directrice associée Génération de données de vie réelle et économie de la santé du Laboratoire Takeda, « l’important c’est de donner du sens ». Elle rappelle que l’industrie pharmaceutique est extrêmement règlementée pour mener ses recherches afin de comprendre les maladies, pour déterminer le besoin médical non couvert et pour développer les outils thérapeutiques qui seront évalués par les autorités de santé. « Dans le domaine des maladies rares où nous sommes impliqués, il y a peu de patients donc peu de données, explique-elle. Le temps d’acquisition est long pour en tirer suffisamment d’éléments, et cela exacerbe le besoin de réutilisation de ces données. » Elle plaide pour un continuum, du soin à la recherche.
Juliette Badina
(1) Dominique Pon – à l’époque directeur général de la clinique Pasteur de Toulouse
(2) Annelore Coury – directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins de la CNAM