La santé au féminin : de la santé reproductive au risque cardiovasculaire
La sphère gynécologique apparaît encore au premier plan quand on considère les spécificités de la santé des femmes. Mais l’on commence enfin à se préoccuper du risque d’autres pathologies considérées traditionnellement comme « masculines » et souvent sous diagnostiquées chez les femmes.
« La libération de la parole des femmes a eu un effet positif sur l’évolution des pratiques médicales », salue Elodie Chapel, à l’occasion de la première table ronde du colloque « Santé de la femme : quand la société l’exige » organisé par Pharmaceutiques ce 28 mars (1). La société Elixir Health qu’elle a co-fondée et qu’elle dirige parie sur les outils numériques et l’IA pour faciliter les parcours de santé reproductive. « L’infertilité augmente et aucune politique n’est menée pour l’améliorer », déplore l’entrepreneuse. La solution développée vise à maximiser les taux de succès des procédures de procréation médicalement assistée (PMA), par un recueil systématique des symptômes liés à l’hyperstimulation ovarienne, et à améliorer le suivi des femmes. « C’est après le transfert d’embryon que les risques, notamment psychologiques, sont les plus importants », rappelle-t-elle, évoquant un taux d’interruption spontanée de grossesse deux fois plus important de celui de la population générale.
Une déficience du pilotage des maternités
Chef du pôle gynécologie obstétrique au CHRU de Nancy, le Pr Olivier Morel a lui été témoin d’importantes évolutions dans la pratique de sa discipline au cours des 20 dernières années, évoquant notamment une plus grande autonomisation des femmes enceintes, avec un suivi plus individualisé. L’enjeu aujourd’hui est de ne plus systématiser la technicité lors de l’accouchement, tout en continuant à « offrir un maximum de sécurité » en cas de complication. Il cite l’exemple de la maternité universitaire de Nancy, qui a ouvert une maison de naissance. « Le taux d’épisiotomie y est inférieur à 1 % ! », se félicite-t-il. Il déplore toutefois que dans le champ obstétrical, la France ne soit pas à la hauteur des pays comparables en termes de formation, et invite à s’inspirer de la Finlande, « où il n’y a pas de maternité à moins de 1 000 naissances par an. En France, les niveaux attribués aux maternités sont fondés depuis 1998 sur les capacités de réanimation des nouveaux-nés… c’est complètement archaïque ! », dénonce-t-il. Il rappelle au passage que la première cause de mortalité des femmes dans l’année qui suit un accouchement est le suicide, et plaide pour un suivi renforcé.
Une affaire de société
« Longtemps, on n’a traité la santé des femmes qu’à travers le prisme de la santé sexuelle et reproductive. Ce sont évidemment des points fondamentaux, mais la santé n’est pas qu’une affaire de biologie : c’est aussi une affaire de société. La prise en compte du genre, associé au sexe, est source d’innovation dans la recherche, la médecine et les politiques de santé », a souligné Catherine Vidal, directrice de recherche honoraire de l’Institut Pasteur, membre du comité d’éthique de l’Inserm et du Haut Conseil à l’Egalité, en introduction de ce colloque. L’occasion pour elle de rappeler les principaux éléments de son rapport « Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique », remis fin 2020 au ministre de la Santé de l’époque, Olivier Véran. Certains facteurs sociaux-économico-culturels touchant majoritairement les femmes sont particulièrement préjudiciables à leur santé, comme la précarité économique, associée à un renoncement au soin, une moins bonne hygiène de vie et une alimentation déséquilibrée. Les stéréotypes de genre ont la peau dure : ainsi l’infarctus du myocarde, typiquement associé au profil de l’homme quinquagénaire stressé, est sous-diagnostiqué chez les femmes, chez qui un symptôme de gêne thoracique sera plus volontiers associé à des raisons « émotionnelles » ! Or « les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité prématurée chez les femmes, quand le cancer du sein arrive seulement en 8e position », insiste Catherine Vidal.
« Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité prématurée chez les femmes ».
Catherine Vidal, membre du Haut Conseil à l’Egalité
Sensibiliser les acteurs aux risques cardiovasculaires
« Il est primordial de sensibiliser les femmes aux maladies cardiovasculaires », renchérit le Dr Stéphane Manzo-Silberman, cardiologue à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris et ambassadrice de l’association Agir pour le cœur des femmes. Depuis 2021, les « Bus du cœur » vont à la rencontre des femmes, notamment « celles qui sont les plus éloignées du système de santé » pour proposer une information et un dépistage cardiovasculaire, métabolique et gynécologique. La sphère de la cardiologie ne s’est que récemment intéressée aux spécificités de ces pathologies chez les femmes, en réaction à l’« urgence épidémiologique que représente la hausse des hospitalisations pour infarctus de femmes de plus en plus jeunes ». « La sensibilisation des professionnels de santé est la première étape », estime la cardiologue.
Les femmes en âge de procréer ont aussi longtemps été exclues des essais cliniques – conséquence néfaste de l’affaire du distilbène, médicament aux graves effets tératogènes. Il a fallu attendre que le Congrès américain impose en 1993 leur réintégration. « Depuis 15 ans on a vu augmenter la part des femmes dans les essais cardiovasculaires, jusqu’à atteindre 47 % en 2018 », se réjouit Catherine Vidal. « Pour la majorité des traitements disponibles à l’heure actuelle, contre l’hypertension ou l’hypercholestérolémie, les analyses réalisées montrent une efficacité semblable et il y a une certaine sécurité d’emploi », note Stéphane Manzo-Silberman, qui déplore en revanche « une inertie de prescription ». Elle souhaite le développement d’une démarche pluridisciplinaire, « notamment pour appréhender des stratégies de prévention primaire. »
Julie Wierzbicki
(1) Evènement organisé avec le soutien de Hologic et de Theramex